Le Chant du Silence

De MercureWiki.
 
Louis Dumur, « Le Chant du silence », Mercure de France, t. II, n° 18, juin 1891, p. 336


LE CHANT DU SILENCE
____


 Il faut croire, la nuit, aux murmures discrets
 Que les âmes errantes distillent dans l'ombre :
 Sous les flots de la mer ténébreuse où l'œil sombre,
 On entend vaguement d'ineffables secrets.


 Où serait la douceur et l'attrait du mystère,
 Si nous-mêmes n'étions exilés de là-bas ?
 Où serait la tristesse inhérente à nos pas
 Combien las de longer les chemins de la terre ?


 Mais l'espace nous berce d'espoirs précieux,
 De lointaines paroles en choient, souriantes;
 Nous prêtons notre oreille à ces voix ambiantes
 Qui nous semblent frémir de l'ivresse des cieux.


Il faut tendre le rêve au silence :
Il est fait des soupirs éternels
Que le monde imprévu des fantômes
Laisse bruire à nos crânes réels.


Il s'épand sur l'humaine détresse
Comme un baume de calme et d'amour;
Il apporte une paix infinie
A des maux qui ne durent qu'un jour.


Au plus fort du malaise de vivre,
Quand le cœur au bonheur est ingrat,
Il suggère une attente sereine
D'un « plus tard » qui peut-être viendra.


 Le silence est un chant que comprennent les tristes.
 Accoudés au balcon hors des salles en feu,
 La prunelle à l'extase, ils écoutent le jeu
 Merveilleusement pur de divins harmonistes.


 Et ne fût-ce vraiment qu'un écho vagabond
 Dans l'éther éveillé du frisson de notre être,
 Et ne fût-ce qu'un leurre amical qui vient naître
 Pour tromper notre deuil, rafraîchir notre front,


 Ce doux chaut du silence où s'éploient des poèmes
 Plus suaves, plus beaux que jamais on n'en lut,
 Dans le doute où nous sommes, chercheurs de salut,
 Ce doux chant nous serait le meilleur de nous-mêmes.

Louis Dumur.


Outils personnels