Salomé (1). — Meretrix suadet, puella saltat, sanctus decollatur, — telle en un verset de vieille séquence l'histoire de la mort du Précurseur. Une légende allemande rapportée au Xe siècle dans les Praeloquia de Rathier de Vérone, puis dans le poème latin du Renard, composé en Flandre (Rheinardus, I, 1145 et suiv.), donne une autre cause immédiate à cette décollation préfigurative : Hérodiade, fille d'Hérode, aimait Jean-Baptiste, le voulait, ne voulait que lui,
- Hacc virgo, thalamos Baptistac solius ardens,
- Voverat, hoc dempto, nullius esse viri.
Hérode se fâcha, fit supplicier le prêcheur qui avait ensorcelé sa fille. Hérodiade prit entre ses mains la tête coupée et approcha des lèvres mortes ses lèvres avides ; les lèvres mortes se rouvrirent pour un souffle d'horreur, et la pucelle au terrible amour disparut dans l'espace, — où elle voyagera jusqu'à la fin du monde, symbole des passions sacrilèges.
La Salomé du frère prêcheur florentin ne ressemble guère ni à la voluptueuse et savante danseuse, ni à la violente amoureuse: en sa robe de lilas très pâle, elle est chaste comme l'imagination du pur moine; son air est un peu méchant et un peu ennuyé, comme d'une qui fait son métier et non pas son plaisir; blonde décolorée par les essences, elle se lève légère et adroite, dessine en son vol de beaux plis symétriques, mais laisse à peine voir la forme de son pied vêtu de pourpre.
Cependant, dehors, le Saint pose sur le billot sa tête de Géant, de précurseur du Géant de la double Substance; elle roule et un valet l'apporte en la salle du festin,où rêve, attablé avec ses officiers, le Tétrarque couronné d'or.
Et Salomé danse toujours, toujours, — puisque c'est son métier de femme.
L'Imagier.
(1) La mort de S. Jean-Baptiste de Beato Fra Giovanni de Fiesole detto l'Angelico (Au Louvre, Primitifs italiens, n° 1291.)