Le Vitrail des Saintes : Ursula. - Beatrix. - Odilis. - Suzanna. - Bertilla. - Agatha

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A.-Ferdinand Herold, « Le Vitrail des Saintes : Ursula. - Beatrix. - Odilis. - Suzanna. - Bertilla. - Agatha », Mercure de France, t. V, n° 29, mai 1892, p. 28-31




LE VITRAIL DES SAINTES




URSULA

Çà et là, par là nef, le choeur des Vierges loue
La douce piété de sa chère maîtresse;
Et, les yeux éclairés d'espérance et d'ivresse,
La Princesse de Bretagne prie à la proue.

Dans les màts, à travers lesquels elle se-joue,
La brise met une harmonie enchanteresse ;
Elle frôle parfois la prieuse, et caresse
Les cheveux emperlés qui lui voilent la joue.

Elle murmure : « Voici bientôt la journée
Où la prairie aux parfums d'or sera fanée,
Pure, et que n'a flétrie aucune rude haleine.

Et, du Ciel de victoire, en blondes théories,
Les Anges descendront vers la sanglante plaine
Cueillir le diamant dé vos âmes fleuries. »



BEATRIX

Toi par qui les martyrs ont eu la sépulture,
Blonde Vierge, trésor d'amour et de beauté,
Né gémis pas de l'âpre hiver qui te torture,
O Lys qui vas fleurir en l'éternel été.

Que t'importent les lourdes grilles et les gênes ?
Tes yeux de printemps voient la gloire de Jésus,
Tu souffres en riant la morsure des chaînes
Et tu marches front haut vers les cieux aperçus.

Ta chaste bouche a dit les prières pieuses,
Et, ravie à la terre où l'azur est menteur,
Parmi l'harmonieux choeur des Victorieuses,
Tu chanteras les hymnes de ton Rédempteur.

O Douce, déjà la main des Anges constelle
Tes cheveux d'or divin et de joie immortelle.



ODILIS

La voix des cors émeut les montagnes obscures,
La chaste cruelle hurle par la forêt.
« Nous verrons s'il pourra te sauver des morsures,
Le Dieu que ta prière illusoire adorait. »

La chasse farouche bondit dans la clairière.
« Non, tu ne trouveras nul antre où te cacher. »
Le cor sonne ; et voici la Vierge printanière
Qui surgit glorieuse au faîte d'un rocher.

« C'est, Jésus, en ta parole que je me fie ;
Tu m'as ouvert les yeux et je t'aime, ô Martyr.
J'ai baisé tes pieds nus et sanglants : prends ma vie,
Elle est tienne, et je suis préparée à mourir. »

Et le Père a crié : « Mes regards voient l'aurore.
J'ai péché, Jésus, Dieu d'amour, et je t'implore. »



SUZANNA

« O lointaine douceur des flûtes vespérales ...
Entends les flûtes t'appeler vers les jardins
Où tu pourras cueillir les fleurs impériales,
O Belle qui resplendis comme les matins.

Entends la voix des flûtes d'amour, ô Suzanne ;
O ma radieuse Impératrice, je veux
Te vêtir d'or lucide et d'argent diaphane
Et couronner de ma couronne tes cheveux. »

— « Je ne m'égare pas, loin de la route pure,
Par les chemins hantés des serpents et des loups.
Sous mon voile et sous ma robe de brune bure,
Je veux rester fidèle à Jésus, à l'Epoux. »

Oh, sur les noirs créneaux de la prison dolente,
Comme elle sourit, la tête blonde et sanglante.

BERTILLA

Aux marges neuves d'un bel évangéliaire,
L'Abbesse peint des colombes et des griffons;
Elle peint des rameaux d'olivier et de lierre
Ou des Anges volants parmi des ciels profonds.

Là, Jésus dort en un berceau de paille fraîche;
Et voici les trois Rois Mages et les Bergers
Que l'Etoile guida vers la divine crèche
Avec les vases d'or et les fruits des vergers.

La sage Abbesse peint de douces rêveries,
Le Précurseur, grave et maigre, et vêtu de peau,
Et le Seigneur qui dans les mystiques prairies
Veille sur les brebis de son chaste troupeau.

Et la tête de Christ saignant au mur se baisse
Pour mieux voir et sourit à la savante Abbesse.



AGATHA

« Vous, qui m'avez permis d'aimer et de souffrir,
Soyez béni, Seigneur, Roi des grandes batailles.
Qu'elle est douce, la meurtrissure des tenailles,
A la Vierge pour qui vos palais vont s'ouvrir. »

Elle chante. Des feux d'opale et de saphir,
Des feux cléments et doux traversent les murailles ;
Des Anges font brûler, en des vases d'écailles,
Tous les baumes de l'Arabie et de l'Ophir.

Elle chante ses chants, la voix joyeuse et sûre,
Et ne frissonne point de la rude blessure.
D'où sort éperduement le sang chaste et vermeil.

Le bonheur embellit ses prunelles décloses;
Et son corps apparaît glorieux de soleil,
Tel un jardin de lys où flamboieraient deux roses.

A.-Ferdinand Herold.

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