Le Voyage qui ne finira pas

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G.-Albert Aurier, « Le Voyage qui ne finira pas », Mercure de France, t. II, n° 14, février 1891, p. 107.


LE VOYAGE QUI NE FINIRA PAS



Voici donc qu'ont brillé les lanternes des phares
Dans la livide nuit où mouraient les galères,
Et qu'oubliant ses peurs et ses blêmes colères
L'équipage s'exalte en hilares fanfares!...

C'est la fin du voyage et des périls moroses,
Et l'immense bonheur du tardif arrivage!...
Sans doute des mouchoirs s'agitent, au rivage!...
Ils reverront, enfin, des robes et des roses!...

Et l'aube a coloré la lointaine jetée
Où la mer monotone et méchante se brise...
Mais, hélas! nul mouchoir ne flottait dans la brise.
Et sur les quais hurlait une foule emportée

Qui lançait des cailloux vers leurs néfastes voiles!...
— Oh! les rêves, parmi les roses et les femmes!...
Faudra-t-il donc encor se courber sur les rames
Et supplier des mains les propices étoiles?...

— Les matelots navrés ont cessé.leurs fanfares
Et, pour fuir le rivage aux sanglantes colères,
Déjà, sous le ciel d'or, s'éloignent les galères
Vers l'illusoire rive où brillent d'autres phares...



G.-Albert Aurier.



6 Novembre 1890.


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