Les Ecrans Lilas

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Louis Denise, « Les Ecrans Lilas », Mercure de France, t. I, n° 3, mars 1890, p. 82-83.


LES ÉCRANS LILAS

I


 Verse à boire, aimable hôtelier des rêves,
 Le beau vin pourpré. — N'est-ce pas ton sang ? —
 Déjà l'on entend rire sur les grèves
 L'essaim des Amours qui vient en dansant
   Frapper à l'huis clos ?


 Vite, ouvre ta porte et leur verse à boire,
 Ou les voyageurs s'en iront. Il faut
 Pour les retenir en l'auberge noire
 Des mets généreux, du vin pur et chaud :
   Donne leur ton sang.


 Toc ! toc ! Entrez tous, joyeuse cabale
 Des Tueurs-de-temps... — Ça nous tue un peu. —
 Car l'auberge est vaste et, dans la grand'salle,
 Comme un ciel couchant, rougit l'âtre en feu.
 Asseyez-vous donc. La table est servie :
 C'est mon sang vermeil, mon cœur tout en vie.
   Buvez et mangez.


II

1


   L'essaim bleu des Rêves s'essore
   Dans les aurores attendries.
   — Les fleurs qui fleuriront encore
   Seront-elles bientôt fleuries ? —


2


 Et Psykhé, la bonne veuve qui sait pourtant
 La stérilité des illusoires espoirs,
 Du promontoire, en l'envol de ses voiles noirs,
 Les encourage d'un geste à peine hésitant.


3


 De toute la hardiesse de leur foi neuve,
 Ils s'en vont, plus frais, plus légers que des prières.
 Et, si les méchants leur jettent des pierres,
 Qu'importe ? — Adieu, la bonne veuve !


4


 Et Psykhé les suit du regard en méditant :
 « Oh ! qui donc en l'aridité de mon chagrin
 A déposé l'ardente goutte de levain
 Dont mon flanc se gonfle et tressaille en cet instant ?


5


 L'essor bleu des rêves s'essaime
 Dans les matins, si diaphanes que l'aurore
 De ses nacres les plus ténues les colore,
 Si subtils que « vivent-ils même ? »


6


 Et Psykhé se demande, les voyant si beaux,
 Quel souffle d'amour a passé sur les tombeaux
 De ses espoirs et par quels mystères
 Ses ruines ont fleuri tant de pariétaires.
 La veuve qui pourtant cache en ses voiles noirs
 La tristesse des illusoires espoirs,
 — À voir ses beaux enfants, les Rêves, si sûrs
 De la vie et de la joie, et si heureux
 Des fleurs qui fleuriront sans doute pour eux, —
 Se reprend à désirer des futurs.



III


 Tu perds ton temps... Bah ! Hardi, mon fils !
 Pétris l'argile inconnue et tendre.
 Des pleurs versés sur le Crucifix,
 — Pauvre pécheur ! — humecte la cendre
 Des rêves fous et bons que tu fis.
   Hardi, mon fils !


 Hélas ! avant que la blanche frise
 Aille redire au soleil levant
 La belle histoire autrefois apprise,
 Les pleurs séchés et la poudre grise
 Des espoirs morts s'en iront au vent...
   Tu perds ton temps.


 

Louis Denise


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