Pour Henri de Régnier .
- Lys de splendeur et de mensonges
- Eclos au seuil des vieux palais
- Au son des harpes, dans les songes
- Des mystiques chanteurs de lais,
- Des femmes, reines enivrantes,
- Princesses aux yeux ingénus,
- A l'éclat des tresses errantes
- Mélant l'éclat de leurs seins nus,
- Les Héroïnes, fleurs divines,
- Au bruit savant des rythmes d'or,
- Sous la pourpre et les perles fines
- Consentent à renaître encor.
- Moulant dans d'étroites simarres
- A fantasques et lourds dessins
- Leurs bras surchargés d'anneaux rares
- Et la souplesse de leurs seins,
- Dans l'ombre des Broceliande
- Pleines d'embûches et d'effrois,
- Leur troupe magique enguirlande
- Les preux et leurs blancs palefrois.
- Leurs yeux troublants d'aigue-marine
- Ont le languide attrait des flots.
- Les lys en feu de leur poitrine
- Sèment la guerre et les sanglots.
- Leur lèvre est rouge et leur front pâle ;
- Et sous le hennin couleur ciel,
- Leurs cheveux roux où rit l'opale,
- Bondissent en flots d'hydromel.
- Les Héroïnes sont farouches :
- Il faut des meurtres et des morts
- Pour atteindre au miel de leurs bouches.
- Leurs lents baisers sont des remords.
- Les batailles, les épopées,
- Les trahisons, les faux serments,
- Mieux qu'au clair fracas des épées
- Revivent dans leurs noms charmants :
- Mélusine, Yseulte, Genèvre.
- Triste comme un appel de cor,
- Leur nom baise et meurtrit la lèvre...
- Qui l'a dit le redit encor :
- Et s'animant dans l'ombre noire,
- Où leur cœur est enseveli,
- Les Héroïnes dans leur gloire
- Jaillissent du féroce oubli.
- La tunique entr'ouverte aux hanches,
- L'or des cheveux en fusion,
- Les sveltes reines aux mains blanches
- Surgissent, lente vision.
- La clarté du songe les baigne,
- Allumant en humide éclair
- Les perles rondes de leur peigne
- Et les tons nacrés de leur chair ;
- Et dans les feuilles trilobées
- Des chardons bleus et des lys d'or,
- Des reines au Temps dérobées
- Le clair essaim triomphe encor.
Jean Lorrain