Les Livres

De MercureWiki.
 
Mercvure, « Les Livres », Mercure de France, t. IV, n° 25, janvier 1892, p. 87-91.



LES LIVRES (1)


 Vitraux, 15 poèmes extraits de Sur Champ d'or,par Laurent Tailhade (Vanier). — Voir page 65.
 L'Aube russe, par Alexandre Pouchkine, traduction de MM. B. Tseytline et E. Jaubert (Perrin et Cie). ― L'épidémie de russite continue ses ravages par les librairies. Après les romans épais, on ramasse le menu crottin des petites nouvelles et des petits auteurs; enfin il paraît que l'étiquette suffit; puisque le public veut du russe, on lui en fourre jusqu'à l'étouffement. — Je ne sais si Pouchkine a suscité son pays à la vie intellectuelle, comme le déclare M. de Voguë en l'épigraphe du volume — n'est-ce pas un des 37 inconnus de l'Académie? — mais ses histoires ne sont pas méchantes et il serait difficile d'en dire grand'chose. Çà et là (La Dame de Pique, Le Fabricant de Cercueils) une pointe de fantastique macabre, oh! si peu; une note attendrie dans l'anecdote du Maître de Poste; tout cela n'est pas si rare, et les traducteurs pouvaient s'exercer de meilleure facon. — Nota: ce livre peut être lu sans danger par les jeunes hommes et les jeunes filles au-dessous de huit ans.

C. Mki.


 « Bonne-Dame » , par Edouard Estaunié (Perrin et Cie.). — A: Je trouve ce livre-là très beau. — B : Avez-vous noté les maladresses ? — A : Monsieur Edouard Estaunié est un garçon plein de talent. — B: Vous en parlez familièrement, mais il manque de métier. — A: J'ai en horreur les professionnels. — B : Avouez que « Bonne-Dame » est malheureuse un peu longuement. On n'est pas malheureux comme ça. Elle a l'air de souffrir exprès, pour obtenir une médaille. — A: J'aime « Bonne-Dame » entierement, y compris son argot original. — B: C'est original d'estropier des mots ? — A: Citez-moi beaucoup de « jeunes » capables de faire vivre un pareil type pendant trois cents pages ? — B : Il se mourait depuis la centième. — A: Au moins, goûtez-vous, comme moi, les images nombreuses? — B : Les meilleures m'auraient suffi.— A: Rappelez-vous : « Bonne-Dame roule, roule, au lieu de marcher, semblable à quelque cloche tombée sur terre, faute l'ailes, pendant le voyage du jeudi saint »; et encore : « La ligne telégraphique semblait une quintuple portée sur laquelle des oiseaux marquaient des notes ». Et caetera! Et caetera! Les lettres de Féfé sont vraiment exquises. — B : Exquises, les lettres d'une petite fille mal élevée ! vous vous démoralisez. — A: Le voyage à Montauban est un pur chef-d'œuvre. — B: Cela vous amuserait, vous, d'attendre dix heures dans la neige la correspondance d'un train? — A: Je ne sais rien de plus navrant que le séjour de « Bonne-Dame » chez sa fille.— B: Quel gendre a jamais traité de la sorte une belle-mère riche? — A : Rien de plus lamentable que son abandon, sa fuite à Paris, son bonheur enfin, à l'asile, de sacrifiée incorrigible. — B: L'auteur est de votre avis. A propos, pourquoi montre-t-il toujours le bout de ce qu'il pense? Que nous importent des phrases de ce genre: « Il faut avoir connu les grandes douleurs pour pratiquer les grandes indulgences à l'égard de l'âpre vie » — ou bien: « De même que la santé morale est le principe facteur du bien-être physique, ainsi l'existence......» — ou mieux : « Les cœurs aimants sont les plus inconséquents ». — A: Bref, mon petit, puisque vous êtes malin, faites-en donc autant. — B : Oh! si vous en venez aux personnalités !.....

J.R.


 Vers de l'espoir, par Maurice Desombiaux (Bruxelles, Lacomblez). — Une suite de représentations de la vie ou du rêve, dont chacune a un sens symbolique, parfois très apparent, parfois mystérieux. La seconde partie du livre, sous ce titre : Les villes du Rêve,nous donne, en forme de poèmes, la description de quelques coins, accidents ou liturgies caractéristiques des vieilles cités flamandes : la Procession du saint Sang à Bruges, voilà vraiment de belles pages, d'un noble sentiment et d'un irréprochable style. Enfin, une légende mystique, la vie d'un idéal martyr, racontée pour exalter le renoncement aux turpidités sensuelles, pour appeler l'heure où régnera le Verbe et non plus la Chair. Tout, dans ce petit volume, n'est pas également original, et même on y compterait plus d'une influence; mais bien écrit, délicatement pensé, plein de suggestions, il me plaît comme l'œuvre d'un consciencieux artiste.

R. G.

 Les Ventres, par Paul Pourot (Tresse et Stock). — Un artiste, qui n'en est d'ailleurs pas un, succombe dans la lutte pour l'art, à cause de la lutte pour la vie. Au seul point de vue de la donnée, on ne peut que répondre : tant mieux; car moins les médiocres réussiront et plus les réels talents auront la chance de réussir. Cette petite férocité lâchée, il faut louer la grande sincérité de cette œuvre simple et sobre. Mais combien inutile le manifeste du Vérisme qui la clôture!... Le livre suffisait: et puis, n'en déplaise à l'auteur, après les Italiens véristes, un Français, M. L.-P. de Brinn'Gaubast, a déjà tenté le manifeste vériste. M. Paul Pourot n'est donc point, chez nous, l'instaurateur du Vérisme.

Z.


 Salon de la Rose+Croix. Règles et monitoires (Dentu). ─ C'est le programme de l'Exposition organisée par MM. de la Rochefoucauld et Péladan, et qui ouvrira le 10 mars prochain dans les Galeries Durand-Ruel. Il est fâcheux que M. Péladan ne puisse énoncer des idées même justes et nécessaires sans les rendre grotesques par la singerie hiératique dont il les enveloppe. Les artistes qui répondront à son appel ne seront pas responsables de ce puffisme : j'espère qu'ils viendront nombreux et avec du talent. Quelques fumisteries telles que l'excommunication (ou exécration vehmiqne) du Congrès catholique de Malines terminent cet opuscule.

R. G.


 Apôtre, par Louis Gastine, avec lettre critique de Mgr Fava, évêque de Grenoble, et post-face, en réponse, de l'auteur (L. Genonceaux). — Livre à thèse : le clergé doit se tourner vers le peuple, évangéliser les socialistes, et non se faire l'allié des divers partis qui se partagent la bourgeoisie. Ce postulat se développe à l'abri d'une histoire dont les assassinats de Fourmies forment un des épisodes. Il y a de belles scènes, des pages hautement humaines. Un clergé moins médiocre aurait accueilli ce livre et lui aurait fait un succès, mais la défiance a été prêchée, tout d'abord par Mgr Fava, homme prudent et même, disons-le, peu brave, car il entortille sa désapprobation de phrases volontairement banales, évitant de se prononcer sur la question, sur la thèse. « Ne nous compromettons pas, basculons! » Voilà la devise de cet évêque et de tous les évêques.

R. G.


 La plus belle Chimère que puisse caresser un homme de lettres est, sans contredit, la Morale religieuse ; mais, comme le monstre caméléonesque ne cherchait qu'à se venger des bons procédés d'un auteur candide, les livres écrits en son honneur ont presque toujours des résultats désastreux. Cet Apôtre, œuvre d'évangélisation pure, inspirée par une idée absolument respectable, sert, pour le quart d'heure, à mettre en lumière une des cinq plaies hideuses du catholicisme : la bégueulerie. De ce doux roman, constatation de l'effort louable d'une chair humaine vers la possible perfection humaine, est sortie une pourriture suffisante à infecter tous les pauvres d'esprit qui s'imagineraient béatement, après lecture, que notre sainte religion devrait être autre chose que la lèpre dont Voltaire énuméra les ravages : je veux parler de la critique post-face de Monseigneur Fava, évêque de Grenoble. — Trois cents ans d'inquisition, des montagnes de corps mutilés et tordus dans le feu, toutes les dégoûtantes théories de Loyola, toutes les hontes des papautés hystériques, toutes les fraudes et tous les vols, tous les étranglements et tous les inutiles bâillons, se profilent entre les lignes de cette suave lettre épiscopale. C'est à la fois, sous la courtoisie du Monsieur épouvantablement quelconque, toutes les mesquineries, tout l'obscurantisme et tout l'arbitraire infusés dans une goutte d'eau bénite. Risette à la réclame d'un côté ! Terreur de recevoir les étrivières de l'autre ! Par-dessus le marché, une pesanteur de style-pilon capable de broyer plusieurs cervelles, cette lettre contient tout... et suffirait à faire expulser de France l'entière corporation aux gants violets, si en France les crimes littéraires finissaient par être jugés comme crimes d'État, c'est-à-dire si en France on avait un peu de logique. Ah ! Monseigneur, quelle belle occasion vous avez perdue là de pratiquer l'humilité chrétienne eu vous taisant ! Et pourquoi ne pas vous être rappelé à propos la bouffonne anecdote de la vieille intolérante à qui l'on disait : « Jésus, cependant, pardonnait à la femme adultère ! » Et qui répondait, se hérissant : « Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux ! »

***


 À la bonne franquette, par Gabriel Vicaire (Lemerre). — En ces temps où vaticine l'école romane, M. Gabriel Vicaire se contente d'être un poète français. S'il n'a pas de grandes envolées à la Ronsard ou à la Pindare, il a la fraîcheur, l'esprit, l'ingénuité, la grâce, et autant de science, sous une apparente simplicité, que tels sonores nourrissons des Muses, dont les poèmes semblent à jamais des exercices de prosodie et de grammaire rétrospectives. C'est dire assez qu’À la bonne franquette est une œuvre charmante, où pourront se complaire les artistes et les simples lecteurs de bonne foi,

E D.

 Le Voyageur enchanté, par Nicolas Lieskopf, traduit du russe par Victor Dekhly ( Savine). — Ce conte agréable ne semble pas avoir trop perdu de sa naïveté slave. Il est tout plein de cette philosophie douloureuse des pauvres gens de ce pays, qui se bercent d'un meilleur espoir entre la tendresse problématique de leurs icônes et la dureté très réelle du knout.

***

 Autour du Mystère, par Gaston Dujarric (Savine). — Visiblement inspiré par Poe, l'auteur, pour si intéressantes que soient ses histoires fantastiques, n'a pas assez ménagé les effets troublants. Trop de points sur les i et trop de couleurs vives. Ces revenants ont la crudité de certaines enluminures d'Épinal. C'est un peu le Mystère de la lanterne magique.

***

 Pour la gloire, par Hippolyte Buffenoir (Lemerre). — J.-B. Rousseau ayant écrit une Ode a La postérité : « Je crains fort, dit Voltaire, que cette ode ne parvienne jamais à son adresse. » Les poèmes de M. Buffenoir courent un semblable danger ; les sujets qu'ils traitent, savoir : Incendie d'amour, Heureuse rencontre, Angoisse de l'absence, Près d'un berceau, La belle Falma, L'Indépendance du Brésil.... » pour être éminemment respectables, et dignes d'être mis au concours, par toutes les académies de province, voire l'Académie Française, n'en sont pas moins d'une antique et solennelle banalité. Voilà pour le fond. Quant à la forme... elle est simple. M. Buffenoir ne s'embarrasse pas de recherches de rimes ni de rythmes. Il écrit ses vers comme ils lui viennent, et, pour donner une bonne leçon à tous ces décadents qui passent quinze jours à composer une strophe, il leur met sous le nez quatre pièces improvisées, dont la plus importante, intitulée Stuart, vainqueur du grand prix de Paris, contient des explosions de lyrisme de cette intensité :

Les Anglais sont battus,
Consternés, éperdus ;
Nous avons la victoire,
Et l'honneur et la gloire !

 Bien peu, parmi nos glorieux poètes, ont de pareils coups d'aile.

E. D.

Les Trains-Eperons. Projet d'un dispositif aussi commode qu'infaillible pour prévenir tout accident de chemin de fer par collision ou tamponnement, par Paul Masson (Ch. Collet, 19, Chaussée d'Antin) — II s'agit cette fois d'une fantaisie macabre. Le Yoghi de l’Ermitage imagine l'adaptation, à l'avant et à l'arrière des trains (à ceux de la voie montante ou à ceux de la voie descendante, au choix, mais pas aux deux), d'un plan incliné muni de rails, qui, d'ailleurs, courraient sur toute la longueur du convoi,— en sorte qu'au lieu de tamponner les trains glisseraient l'un sur l'autre. Cette fantaisie, sous forme de « Mémoire à l'Académie des Sciences », est écrite avec le plus grand sérieux du monde, naturellement. Mais à cette invention je préfère cette autre trouvaille de l'auteur, qui a fait imprimer sur le faux-titre de sa plaquette le mot : Hommage, et en regard les mots : amical, cordial, respectueux, de façon à n'avoir plus qu'à biffer, selon la personne à qui est adressé l'ouvrage, les qualificatifs qui ne conviennent pas. Amusante ironie sur la banalité des dédicaces.

A. V.


 L'Action et le Rêve, par Georges Servières (Savine). — Livre plein de statistiques fastidieuses. Tout va six par six, les incidentes surtout. Dénombrement des problèmes de psychologie banale qui peuvent intéresser un jeune homme enclin à la paresse, et revue des différentes situations bêtes dans lesquelles peut se trouver un autre jeune homme actif. Une monotonie navrante véhicule ces pages, très soignées, aux abîmes de l'oubli.

***


 (1) Aux prochaines livraisons :La Paix du cœur (Jean Blaize); Mavra [Lazare Goulin); Geneviève (Henri Germain); Sanglots d'Extase (Michel Abadie); L'Amour chemine (Marie Krysinska); Première Glane (J. Bouchard); Paul Verlaine (Alfred Ernst) ; Heures d'Amour (Hippolyte Lucas) ; Mademoiselle Rondecuir (Henri Bossanne); et les livres annoncés déjà.



Outils personnels