Les Cornes du Faune, par Ernest Raynaud (Bibliothèque Artistique et Littéraire). — V. p. 110
La Gloire du Verbe, par Pierre Quillard (Librairie de l'Art indépendant). — V. p. 115.
Fleurs d'Oisiveté, Poésies, par Charles Guinot (Genonceaux). — C'est moins un livre qu'un recueil : toutes les pièces sont indépendantes les unes des autres. Et il manque un peu d'intérêt à une époque où les poètes cisèlent le vers avec un art auquel n'atteint pas M. Charles Guinot, et arrivent à une telle cohésion entre les poésies d'un même livre qu'en retrancher une seule serait faire mal à l'âme de l'œuvre. De multiples influences — dont quelques-unes remontent aux premiers temps du romantisme — y sont aussi trop apparentes. Si, d'ailleurs, il est certain que l'auteur eût sagement agi de cadenasser dans sa Fosse aux ours telle, telle et telle de ses poésies, d'autres sont fort honorables de forme et de fond — mais, je le répète, sans grand intérêt pour nous.
A. V.
La Décoration et l'Art industriel à l'Exposition universelle de 1889, par Roger Marx. (Ancienne maison Quantin). — M. Roger Marx, qui s'occupe avec une vigilance éclairée des intérêts de l'Art français, vient de publier, dans une édition de grand luxe, la conférence qu'il fit en juin 1890 au Congrès de la Société centrale des architectes français sur la Décoration et l'Art industriel à la grande Exposition. Je ne puis entrer dans le détail des sujets très divers qu'il traite au cours de cette intéressante étude. Signalons les lignes qui concernent M. Emile Gallé, l'un des plus grands maîtres de notre art industriel, et qui « loin de limiter son ambition au plaisir des yeux, se préoccupe sans relâche de solliciter l'intérêt de l'esprit, l'éveil du sentiment par un symbolisme conforme en tous points aux aspirations de l'évolution contemporaine. » Chéret, le maître afficheur, a, au moins, la place qu'il mérite parmi les ornemanistes. Je ne sais, toutefois, si c'est de Goya qu'il convient de parler à propos de Chéret, je ne sais... ? Mais il faut conclure avec M. R. Marx que le premier devoir de l'art décoratif, si justes que soient ses sympathies pour les vieilles traditions nationales ou pour les grâces étranges des artistes de l'Extrême-Orient, est d’inventer : à la condition qu'il discerne
nettement le besoin spiritualiste. le besoin de Symbole qui soulève aujourd'hui tous les arts, de la Poésie à la Peinture, contre les sottes prétentions à la réalité des faux maîtres naturalistes.Ch. Mce.
Les Vieux, Drame en un acte, en prose, par Ernest Bosiers (Anvers;). — Voici un petit drame point mauvais en soi, et qui pourtant ne saurait avoir de signification. Je m'explique. Avec le procédé de M. Maurice Maeterlinck, M. Bosiers produit une impression — la même — infiniment moins forte que celle donnée par l’Intruse. Alors, à quoi bon? Le lieu de ténèbres où opère M. Maeterlinck est exigu, et tellement que lui seul (ou un seul qui sera toujours lui, ce qui revient au même) y peut respirer : quiconque tentera l'y rejoindre périra. C'est pourquoi il est vain d'avoir écrit Les Vieux — vieux rentiers que chaque jour rassemble sur un banc et dont l'unique préoccupation est la peur de mourir.
A. V.
Un Simple, par Edouard Estaunié (Perrin et Cie). — La manière de Flaubert est encore celle qui tente le plus les jeunes écrivains sérieux d'aujourd'hui, parce qu'elle est merveilleusement claire et qu'elle fait songer, son allure étant douce, à ces machines qui pourraient bien marcher toutes seules... Mais il y a dans ces machines-là on ne sait quel petit rouage secret... A le chercher, on perd plus de temps qu'à en inventer un autre, et on reste, malgré de très courageux efforts, un cent vingt et unième Flaubert manqué. M. Edouard Estaunié a écrit l'histoire de ce simple très simplement, c'est-à-dire qu'il a beaucoup peiné, saus doute, pour découvrir le petit rouage. Dans des pages, il nous en donne presque l'illusion, et nous aimerions mieux de bons défauts personnels que cette illusion-là. Son simple est le fils d'une femme dure à l'enfance et tendre aux amours. Ce fils apprend la vie en entendant sa mère vivre... un peu plus fort que d'habitude, et, après une scène grossière qui suffit à déparer tout un volume remarquable, il va se jeter à l'eau. Deci, delà, des paysages méridionaux dessinés du bout d'une plume de roitelet et d'un transparent délicat.
***.
De l'Authenticité des Annales et des Histoires de Tacite, par P. Hochart (Thorin). — En ce livre d'une bonne et curieuse érudition, il est démontré que les œuvres de Tacite furent fabriquées de toutes pièces, à la Renaissance, par un latinisant habile et astucieux. Tromper à ce point la postérité, nous faire prendre jusqu'à la fin des siècles pour « le témoin indigné de la vertu offensée » les élucubrations factices d'un ingénieux truqueur, — ce rôle, paraît-il, tenta Pogge, l'auteur des Facéties. M. Hochart donne quelques preuves qu'on a discutées, mais non réfutées. Sans parler de la date des plus anciens manuscrits de Tacite (au commencement du XVe siècle on n'en connaissait aucun, et ceux que l'on connut étaient d'une écriture contemporaine), il y des détails assez typiques : Ammien Marcelin est le seul
auteur ancien qui avec Tacite mentionne Ninive, et Pogge est le premier à avoir eu en main un manuscrit d'Ammien Marcelin ; Tacite, qui connaissait certainement le golfe de Jaïes, n'aurait pas commis en le décrivant les grossières erreurs qui lui sont attribuées, — tandis que c'est vraisemblable de la part de Pogge qui ne le visita jamais, etc. Enfin il y a l'autorité de M. Hochart, lequel étudie spécialement les temps historiques qui sont le sujet du pseudo-Tacite.R. G.
Le Poème de la Chair, par Abel Pelletier (Vanier). — Est-ce par antithèse que l'auteur donne à sa plaquette ce titre dense et lourd? Ses poésies sont toutes imprégnées d'idéalisme :
- Tu seras, pour mon rêve invocateur, la Dame!
- Vision qu'on aurait peur de voir s'incarner
- Si l'on ne savait pas qu'elle ne peut daigner
- Dévoiler la splendeur de son aspect qu'à l'âme.
- ................
- Parce que, loin de vous, je vous ai possédée
- Toute l'autre nuit dans le lit de mon idée.''
- Tu seras, pour mon rêve invocateur, la Dame!
M. Abel Pelletier ne recherche point dans son vers cette musique de mots à quoi tendent presque tous les poètes de ce temps : il écrit une langue claire, point prosaïque toutefois, et se contente des rythmes traditionnels. Le Poème de la Chair ne révèle certes pas une originalité, mais indique un poète. Il manquerait seulement un peu de « modernisme ».
A. V.
Les Psychoses, par Arsène Reynaud (Vanier). — « Ton âme, je le sais, doux Arsène, est trop simple... » C'est ainsi que M. Michel Réallès, daus un sonnet-préface à son « cher et tendre Arsène Reynaud », s'adresse à l'auteur des Psychoses, libricule qui a l'air d'émaner d'une âme plutôt fumiste que simple. Toutefois, malgré la « gosserie » des épigraphes et les chinois acrostiches de notes (DO MI SOL DO — LA RE FA LA), il y a des choses point banales en ces paginettes, même des rimes banvillesques (... O Vénus esthétique. — ... ta gorge reste éthique.)
A. V.
Nous recevons la lettre suivante :
« Paris, le 24 décembre 1890.
Dans la notice que me voulut bien consacrer notre ami Ernest Reynaud, et dont l'excessive louange ne laisse pas
que de me confondre, une « aguda » m'est attribuée qu'il sied de rendre à son auteur.
« Il n'aura qu'un oeil à fermer, etc. » se doit, je pense, impartir à feu Murger, lequel, domestique à la Revue, aiguisa ce quatrain contre le borgne Buloz :
- Vienne la mort le réclamer,
- Il ne se fera pas attendre :
- II n'aura qu'un œil à fermer
- Et n'aura pas d'esprit à rendre.
- Vienne la mort le réclamer,
Trop généreux ou m'estimant assez riche pour qu'on me prête sans danger, le poète Raynaud me glorifia de cette plume que, loyalement, je rétrocède a l'oiseau (jadis parisien!) qu'elle adorna.
Que ne la puis-je conférer à quelqu'un de mes brillants confrères, exemplum ut Jean Rameau. Ainsi le dit Jean aurait poussé tout au moins un bon mot dans sa vie et rimé quatre vers susceptibles d'être lus. Mais je sais trop les bienséances pour, sous couleur d'apophorètes, chagriner vilainement ce doux pasteur de veaux qui, dans les plus suaves pâturages, broute une herbe de gloire et communie, aux jours des belles dames, avec Bourget le psychologue, avec le marin non conformiste aimé de Rarahu.
Merry Christmas, dear, and my best love,
Laurent Tailhade. »
La Rédaction du Mercure de France exprime à M. Odilon Redon tous ses remerciements pour les précieuses étrennes qu'il lui a envoyées : deux superbes compositions tirées à petit nombre : Yeux clos et Serpent-Auréole.
Trouvé dans notre courrier ces deux amusants triolets :
- Barrès, monsieur Rod et Dumur
- Tiennent des discours pessimistes.
- Verjus à leur prix semble mûr.
- Lisez Barrès, Rod et Dumur :
- Ils savent que le chien est dur
- Et peu tigresses les modistes.
- Barrès, monsieur Rod et Dumur
- Tiennent des discours pessimistes.
- Méténier a dit aux Goncourt :
- « Je veux mettre en français vos livres ;
- — Ce Journal n'est point assez court » —
- A dit Méténier aux Goncourt.
- L'un est mort et le second court :
- Il fuit ce rasoir de cent livres.<br />
- Méténier a dit aux Goncourt :
- « Je veux mettre en français vos livres» .
- Barrès, monsieur Rod et Dumur
Pour paraître ce prochain mois : Au Pays du Mufle, ballades et quatorzains, par Laurent Tailhade, avec une préface d'Armand Silvestre.
A la Librairie Académique Perrin et Cie, en mars : A l'Ecart, par R. Minhar et Alfred Vallette ; en avril : Lassitudes, par Louis Dumur.
Si tu veux être,
Malgré tes vers,
Un gendelettre
Palmé de vert ;
Si tu veux braire
Chez monsieur Dou-
Cet, le confrère
De V. Sardou :
Courbe l'échine
Aux discours longs,
Lis des machines
Dans les salons.
Le ciel te garde
De tout écart :
Deviens un barde,
Tel Jean Aicard.
Sois philhellène,
Bois du coco,
Admire Hélène
Vacaresco.
Bavarde comme
Un vieil ara :
Sully Prudhomme
Te sourira.
Peins la bannière
Des Pharaor,
A la manière
De Jean Lahor.
Traite de l'âme
Et de la foi ;
Prône madame
Dieulafoy
(Car ses culottes
Au sar Nebo
Font voir les lottes
De Salammbô).
Ainsi, ma vieille,
Loin des Bulliers,
S'accroit la veille
De Cherbuliez.
Huysmans, Batave,
Dans maint feuillet,
Couspue Octave
Qu'on vit Feuillet.
Mais il n'importe :
Le décati
Frappe à la porte
Du quai Conti.
Prends sur la rive
D'élection
A mon frère Yve
L'inversion.
Ainsi la gloire
Vient à qui sait
— Paul ou Magloire —
Mettre un corset.
Et son aurore
Touche Dubus
Quand il pérore
En omnibus.
D. J.
La librairie Albert Savine réunit en volume les articles publiés dans la Bataille par Camille de Sainte-Croix sous la rubrique : Mœurs littéraires. — A la même librairie, le mois prochain, L'Eléphant, par Charles Merki et Jean Court.
Sur opposition au jugement qui condamnait par défaut, le 19 novembre dernier, le gérant de La Plume à 15 jours d'emprisonnement et deux mille francs d'amende, la peine a été réduite à mille francs d'amende. — La Plume annonce qu'elle paraîtra désormais avec 16 pages de texte au lieu de 8. Le numéro du 1er janvier, tout entier dévolu au Symbolisme et à Jean Moréas, donne des extraits des Syrtes, des Cantilènes, du Pélerin Passionné, et reproduit la Préface de ce livre avec
les articles consacrés naguère à Moréas par MM. Anatole France et Maurice Barrès. Dans le même fascicule : Les Annales du Symbolisme, par Achille Delaroche ; Etrennes Symbolistes (en appendice), par Maurice du Plessys ; Jean Moréas, composition allégorique de Paul Gauguin.
Dans Les Cornes du Faune (p. 95), une transposition de mots, qui fausse un vers et le dote d'un hiatus, empêche de dormir le poète Ernest Raynaud. Nous rétablissous in-extenso la pièce :
- C'est tout mon horizon, ce cadre de fenêtre !
- Tout mon Été l'œillet qui s'y fane, assoiffé,
- Et je rêve en cette atmosphcre surchauffée
- D’Océans de verdure où recréer mon Être.
- O routes d'aventure où chevauchaient les reitres!
- Forêts vierges dont nul encor n'a triomphé!
- Crépuscules marins, si je vous puis connaître
- Ce n'est qu'en ces albums qu'on feuillette au café!
- Mon front où vit tout le tumulte des orages
- Aspire en vain à la fraîcheur des « doux ombrages ».
- La Pauvreté m'attache à la Ville où je meurs...
- O même rien qu'en la banlieue, une demeure!
- Mais que j'approche et vite ! un aboi furibond
- Écartera de la grille ce vagabond!
L'Art Moderne du 4 janvier a substitué à son titre habituel un titre allégorique. M. Camille Lemonnier, dans l'article de tête, le définit « Une figure rustique, nue, cheveux au vent, poussant d'arrache-pied le soc d'une charrue dans un sol chardonncux, pendant que le soleil se lève, et que derrière elle, déjà, monte une moisson ». Substantiels articles récapitulatifs sur le mouvement de l'Art et des Lettres pendant ces dix dernières années, signés : Edmond Picard, Eugène Robert, Octave Maus, Emile Verhaeren, V. Arnould.
Le numéro de décembre de l’Ermitage publiait d'exquis poèmes en prose de notre collaborateur Laurent Tailhade : Terre Latine. Relevé au sommaire de la livraison de janvier les noms de MM. H. de Régnier, H. Mazel, G. Fourest, Dauphin Meunier, Marc Legrand.
A la salle des Capucines, dans une récente conférence sur l'interview et le reportage, M. Louis Kolf a établi qu'autrefois le jeune littérateur sans fortune débutait en écrivant des chroniques, tandis qu'aujourd'hui son unique ressource est le reportage. — A cela près que les jeunes littérateurs sont aujourd'hui cent là où ils étaient dix, la chronique obligatoire ne valait guère mieux que le reportage forcé — lequel, au surplus, peut apprendre la vie à qui sait voir.
Mercvre.
(1) Au prochain fascicule : Le Pèlerin passionné (Jean Moréas); Les Quatre Faces (Bernard Lazare) ; Le Curé d'Anchelles (Georges de Peyrebrune); Flumen (Pierre Dévoluy); Le Don d'Enfance (Fernand Severin); Culs-de-Lampe (Albert Boissière) ; Peines de cœur (Jean Surya); Le Magot de l'oncle Cyrille (Léo Trézenik) ; Le Songe d'une nuit d'hiver (Gaston et Jules de Couturat).