Le Miroir des Légendes,par Bernard Lazare (Lemerre). — Voir page 250.
Thulé des Brumes, par Adolphe Retté (Bibliothèque Arlistique et Littéraire). — Voir page 350.
La Montée, par Gabriel Sarrazin (Perrin). — Livre indulgent et charmant, tout d'amour et de foi, — livre jeune, soit par les dates, soit par la jeunesse d'âme que le poète conserva sous les souffles des vents de la maturité. L'indulgence pour la vie, pour les hommes, pour tous les êtres, c'est peut-être la seule vertu. Ne garder rancune ni a l'existence pour les déceptions dont elle nous abreuve, ni aux hommes qui nous leurrèrent de leur amitié pour nous frapper plus sûrement, c'est posséder un état d'âme en vérité supérieur, — et tendre là, cela devrait être la règle de tous les êtres vraiment intelligents. Sous prétexte de justice et d'indépendance, les esprits étroits jugent sans cesse et avec sévérité, magistrats à la merci d'une mauvaise digestion, d'un ennui intime, d'un changement de température, — et à la merci des bornes mêmes de leur cérébralité. A mesure qu'ils dessèchent autour d'eux toute bonne volonté, ces sortes de gens s'étonnent un jour de se trouver seuls en un désert ; ils clament que rien n'existe, hormis l'îlot, l'oasis qui est leur moi, — ils le clament, mais en vain: nul n'entend leurs cris et nul ne voudra entendre leur cri suprême.
Dire que la sympathie — même avouée banale — est supérieure à un orgueil si mal compris, cela va de soi. Le présent livre est justement un livre de sympathie ; on sent que l'âme de l'auteur est liée très strictement à ce qui fait la gloire de la vie, l'art et le sentiment; et que la non-communion avec Dieu, qui est tout l'Art et tout l'Amour, voilà la seule peur qui l'effare, — témoin:
« L'Enclos. — II me semble que je suis une pauvre bête ailée, tombée soudain dans un enclos de hauts murs. Une vapeur noire m'engourdit, je n'ai même plus le sens de l'espace, et au lieu de m'élever, de monter dans le ciel, je vole au ras de terre : contre le mur je me casse la tête, et retombe saignant.
« L'enclos, c'est la douleur, c'est la vie humaine: vais-je donc y rester à jamais paralysé, blessé, et n'aurai-je plus la force de voler haut et droit dans la vie de Dieu ? »
La réponse à ce doute, elle est exprimée clairement dans la dernière page:
« ... Là-haut les portiques s'ouvrent à pic sur mon extase, le ciel rayonne: là-haut c'est l'esprit, là-haut c'est l'amour, là-haut c'est la couronne. Là-haut je serai couché sur ton sein, ô Seigneur! Il est vrai, ma journée n'est point encore au soir: et pourtant, et déjà, semblable au céleste, à l'ineffable regard des femmes, ton regard, ô Dieu, s'est posé sur moi pour jamais. Maintenant, mon vol peut veiller ou dormir, je puis me
reposer sur les vagues de l'éther ou les fendre : je suis entré dans l'Eternel. »
Telle est, non l'analyse, non même la substance, mais la pensée dominante de ce livre, carnet d'un voyage à travers la vie et carnet d'un voyageur qui avait quelque chose à dire: partir d'en bas, de la terre même, et arriver en haut, — voyage qu'il est donné a peu d'accomplir. La mort n'est pas, pour l'auteur de la Montée, une enseigneuse de néant : il sait que la seule raison de la vie est son incontestable éternité.
R. G.
Le Roman d'un Bas bleu, par Georges de Peyrebrune (Ollendorff). — Ce nouveau roman de Mme de Peyrebrune est bien mieux l'histoire d'un curieux cas pathologique, d'un cas très rare (j'allais dire : heureusement}, que le récit poignant des infortunes d'une femme de lettres vertueuse et jolie. Sylvère du Parclet est, en effet, l'exception parmi les Georges Sand moderne. Elle est atteinte de... froideur. Mal mariée à un homme un peu brutal, elle ne connaît de l'amour que les corvées, assouvissement bestial de l'époux, enfantement douloureux, et se refuse a des recherches indignes d'une honnête créature, qui a cependant... tout ce qu'il faut pour écrire! Etudes des milieux mondains où s'agitent les bonnes petites amies toujours prêtes au pavé de l'ours, études des rédactions où minautorisent les rédac-chefs, études des diverses occasions de pécher que rencontrent les belles romancières romanesques, tout y est fiévreusement décrit par une main haut gantée pour les soufflets de l'indignation pudibonde (lesquels ressemblent si souvent à des coups d'éventail...) On y reconnait quelques types de Don Juan des lettres, vus, hélas, par un seul coté ! Mais au cœur du livre il y a trois belles, absolument belles pages : Sylvère attendant, exaspérée, l'homme à qui elle a décidé enfin de se donner, et qui ne vient pas, étant trop tard élu. J'aime moins l'apothéose de pseudo-vice de la fin, où Sylvère s'offre à ... Boulanger, pour la satisfaction seule de se voir adulée du Tout-Paris canaille que l'on sait, c'est-à-dire le Tout-Paris journaliste.
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Vamireh, roman des temps primitifs, par J.-H. Rosny (Ernest Kolb). — « C'était il y a vingt mille ans ». Oh! cette phrase ! On est tenté de s'en tenir là, de se perdre avec peur et joie dans une longue rêverie engourdissante. Quel qu'il soit, un livre est déjà surprenant qui ne raconte pas des choses d'aujourd'hui ou d'hier. Enfin l'œil retombe sur la page, et voici le Félis Spelaca, l'Aurochs, l'Urus, le Mammouth, tous les êtres chers à notre imagination. Le plaisir de lire Vamireh n'égale pas celui de le relire, et je crois bien que la grande jouissance est de se le rappeler. On a fermé le volume. Un à un, les souvenirs remontent.
— « C'était une clairière parmi des hêtres,des chênes et des
ormes........ Une hyène s'approcha....... Vamireh dormait
toujours........ Des chacals s'embusquèrent dans les fourrés........ Trois vautours churent sur un arbre proche........
Les corbeaux tinrent un conciliabule, en accents bas,
gargouilleurs, alternés de danses.......Le vautour se décida....... La main de Vamireh, dans l'inconscience, se porta au point menacé..... Ses poings d'athlète trouvèrent le cou du vautour....... Puis l'asphyxie vint, et la mort, sans que les doigts de Vamireh lâchassent prise. »
Invinciblement il faut songer à ce qu'on admire ailleurs de plus beau, et on voudrait tourner un compliment point banal qui fût agréable aux auteurs.
— « Des branchages s'écartèrent rudement, du bois se brisa avec un fracas de tempête: il parut un mammouth au front bombé, .haut de quinze pieds. La clairière lui.plut, il y balança son grand corps, arrachant de sa trompe quelques herbes dans un caprice de colosse puéril, puis il se coucha, il vécut le demi-sommeil des grandes bêtes, le rêve coula par sa tête, l'intarissable flux des formes et des mouvements que sa prunelle avait lus au long de ce jour. »
A propos de Vamireh, on a fait de la haute critique scientifique, prétendu que certains détails n'étaient pas absolument à la mode préhistorique. Voilà qui m'est égal. J'avoue n'avoir aucun coût pour les restes d'une vérité agée de vingt mille ans, et je me bouche les oreilles dès qu'on discute le mammouth que j'aime.
Et Nell Horn, Le Bilatéral, Mar Fane, Les Corneilles, L'Immolation, Les Xipéhuz, Le Termite, Daniel Valgraive, Vamireh, me sont autant de « mammouths ».
J. R.
Âmes fidèles au Mystère, par Adolphe Frères (Lacomblez). — Je finis par m'imaginer la collection Lacomblez comme une vallée de lys où ne paissent que des talents purs, marqués dès leur naissance du sceau mystérieux de l'idéalité. Quel délicieux livre, ces Ames fidèles au Mystère! Cette fois, il s'agit de dix-sept nouvelles absolument ravissantes, groupées en des paysages clairs sur un fond de bleue tristesse sentimentale et donnant bien l'impression de premières communiantes long voilées passant les mains jointes, de communiantes sages dont quelques-unes pourtant seraient tourmentées du remords d'un péché ancien. L'écriture de M. Adolphe Frères est d'une élégance rare. S'il recherche le mot neuf et la tournure précieuse, c'est avec le soin savant, l'œil expert du lapidaire dandy assemblant ses bijoux plus encore pour sa satisfaction personnelle que pour la gloire de sa vitrine. Tout est pesé, soumis au jet de lumière du soleil, placé dans l'écrin où se moulent exactement les formes, puis discrètement proposé aux lecteurs par un sourire si toujours plein d'un courtoise fierté qu'on est obligé de s'arrêter ébloui. L'auteur dit dans sa préface « des âmes très impersonnelles, n'ayant pas lu les journaux ». Oh ! certes, et cela se devine rien qu'au parfum, exquis, véritable odeur de sainteté littéraire, qui se dégage de l'œuvre. Ce sont presque des doigts manieurs d'hosties que les doigts d'un tel joaillier. Je citerai la Villa des fleurs, la Première communiante aveugle, comme des pages absolument dignes de figurer dans les saints évangiles du génie. L'éveil d'un bois à l'aurore du printemps ou le crépuscule sur la mer, ce sont là les seules choses qui puissent, à mon humble avis, donner le genre de frisson délicat éprouvé à la lecture de cette prose de sélection. Que ces nouvelles tombent des hauteurs du septième ciel ou qu'elles planent sur les genoux d'une jeune fille, elles seront comprises quant a la lettre, et elles plairont. Qu'un philosophe les étudie pour y trouver, quant à l'esprit, la dose d'amertume qu'on est en droit d'attendre d'un écrivain de valeur, il sera secrètement émerveillé. Bouquet de primevères et de perce-neige, bouquet de pensées, violettes jusqu'au grand deuil, sons de cloche d'or et fredon d'amour en larmes, tout ce qui est troublant pour le seul motif du beau, tout ce qui est chaste et tout ce qui est adorablement triste, on le rencontre en parcourant ces Heures des âmes mystiquement éprises d'art. Oui, bienheureuses celles qui ne lisent pas les journaux (surtout les journaux parisiens!), mais plus heureux encore l'artiste qui ne craint pas de venir, une poignée de roses dans le cerveau et de l'encens plein le cœur, nous parler, à une époque compliquée, un langage idéal, avec la grâce ineffable d'un jeune roi.
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L'Entraîné, par Maurice Quillot (Perrin). — Du Barrès.... meilleur!
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Les Lois fondamentales de l'Univers, par le prince Grigori Stourdza (Librairie Polytechnique Baudry). — L'aspect de cet ouvrage, un volume monstre suivi d'un appendice, est extrêmement imposant, et, à vrai dire, le titre ne l'est pas moins: aussi, est-ce une grosse affaire que d'oser y pénétrer. Cent soixante-neuf théorèmes de philosophie scientifique avec leurs preuves et le c.q.f.d. traditionnel, il y a de quoi s'émouvoir, surtout lorsque l'on rencontre des formules comme:
- π Omm.e,655
- W = — δ 3 = ——————
- 6 10152
Ce qui signifie : le volume de l'atome est la 655 millième partie d'un sextillionième de quarantillionième d'un millimètre cube. Voilà un renseignement précis. Celui-ci, qui fait l'objet du 143e théorème, l'est moins, mais son intérêt est encore plus évident:
§ 143. — L'âme est formée d'un gaz éthéré neutre.
Dirai-je que la démonstration de ce problème (12 pages d'une logique excessive) m'a convaincu? Non, mais il m'est doux de pouvoir me dire (en des moments de doute) que mon âme est un gaz éthéré neutre. Ce neutre est rassurant, car supposez un gaz éthéré acide et vous avez de l'animate de potasse ou du bi-animate de soude ou du per-animate de manganèse, et autres combinaisons que je taxerai d'inconvenantes. Ces insuffisantes notes permettent mal de se faire une idée des lois fondamentales découvertes par le prince philosophe, mais je suis forcé de renvoyer les lecteurs au volume.
R. G.
Philippe Destal, par Gustave Guiches (Tresse et Stock). — « ... Et il se répétait la formule du bonheur tant convoité:
une perpétuelle ivresse du cœur, de l'esprit et de la chair, dans cette entente complète de deux âmes qui établit le silence des ravissements parfaits. » — Roman d'amour un peu fou, mais très captivant, qui est contenu tout entier, ce me semble, dans la définition citée plus haut. Philippe Destal, né d'un père érotomane et d'une mère froide, est un composé d'ardeurs mystiques et de sensualisme délicat. Ses parents étaient d'une piété si exagérée qu'ils lui ont légué des germes de folie, et après avoir vu mourir, en plein paradis terrestre, la bien-aimée choisie par son seul cœur, il court à la poursuite d'un reflet de femme qui le rend tout à fait fou. Ce que j'aime beaucoup dans ce livre finement écrit par un écrivain bien élevé, c'est la soudaineté de la déclaration ordinairement si longue à venir, et toujours préparée par des scènes bien inutiles. Etant donné que l'auteur a mis tous les soins nécessaires à faire entrer dans la vie ses personnages, il n'est ensuite plus besoin de les promener d'hésitation en hésitation pour amener la scène de l'aveu. M. Gustave Guiches rajeunit le vieux coup de foudre 1830, et il a raison. Livre que les mondaines aimeront, bien qu'il soit aussi destiné aux lettrés.***
R. G.
Etude de jeune fille, par Henry Maubel (Lacomblez).— Cette étude, très soignée comme style et très claire comme langue, est faite en comédie, ce qui lui ôte peut-être la fraîcheur de l'illusion. On suit trop, le long des scènes familiales, les mouvements des personnages pour oublier qu'il s'agit d'une psychologie quasi-symbolique de la jeune fille pure et simple. De ci, de là, l'auteur se laisse tenter par un mot; il a de l'esprit (du plus fin, d'ailleurs), le laisse voir dans une phrase, et semble forcé d'abandonner sa précédente création pour une créature plus palpable et plus terre à terre. Miette est un trop joli composé de tout ce qu'il y a de malin et de fièrement délicat dans la vierge. On la voudrait tantôt plus effacée, tantôt plus de ce monde, et elle est par dessus tout Henry Maubel,c'est-à-dire simplement poète. Mais bonne étude au résumé, dont il faut retenir une masse de gracieux détails point du ressort de la grâce ordinaire. A signaler le passage sur les jeunes filles, les pensionnaires, qui pleurent sans savoir pourquoi, ravissant hors-d'oeuvre, je dirai bien même chef-d'œuvre...
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Les Odeurs. Démonstrations pratiqua avec l'olfactomètre et le pèse-vapeur, par M. Charles Henry. Bibliothèque municipale professionnelle d'art et d'industrie Forney. — (Librairie Scientifique A. Hermann). — Qu'est-ce que l'odeur? Y a-t-il une relation entre l'odeur et la composition chimique? Quels sont les procédés les plus décisifs d'extraction des odeurs? Y a-t-il des séries d'odeurs un peu précises? Comment se fait la propagation des odeurs ? Comment reconnaître les falsifications que l'on impose aux parfums? Quel est le mécanisme de la perception des odeurs? Enfin, démonstration de l'olfactomètre ou instrument destiné à mesurer l'intensité des parfums, absolument et relativement. Telles sont les questions de chimie spéciale traitées en ce livret, qui est bref parce qu'il ne contient que de la science originale.
R. G.
Les Cygnes, par Francis Viele-Griffin (Vanier).—Ce volume n'est pas une réédition, comme on le pourrait penser par le titre. Ce sont de nouveaux poèmes que, sous un titre ancien, M. Francis Vielé-Griffin nous donne aujourd'hui ; et il n'est pas déplaisant de voir un poète arrivé à la pleine conscience de son talent reprendre le nom d'un livre de début, surtout quand le nom est aussi heureux que les Cygnes.
C'est une belle suite de poèmes que L'Etape, Le Gué, Au Seuil, Le Porcher, Eurythmie, Au Tombeau d'Hélène, et où M. Vielé-Griffin affirme, de manière définitive, les qualités qu'il laissait soupçonner dans ses premiers livres, et qu'il manifestait déjà dans Ancaeus et plus encore dans Joies. Une impression bien une se dégage des Cygnes. On y sent la mélancolie du monde, et la douceur de la solitude parmi les bois et les vergers évocateurs des bons rythmes et des doux rêves. C'est là qu'on voit passer transformés et mieux aimés, devenus des ombres souriantes et lumineuses, ceux qu'on connut jadis, troublés et troublants, alors qu'on errait par les routes trop peuplées. Et c'est là qu'on s'endort heureux aux bras d'Eurythmie, la toujours fidèle amante.
Si l'on ne peut ainsi s'abstraire des hommes, si malgré soi l'on est poursuivi par les ennuis et par les souffrances, il n'y aura de repos que dans la mort : voici le gué qu'il faut franchir, le gué libérateur au-delà de qui l'on retrouvera les être adorés et vénérés, pour ne plus jamais être séparé d'eux. Et, ces chers fantômes, toujours ils nous apparaissent au seuil fatal, comme pour écarter de nous les frayeurs et, de leur sourire, nous appeler vers leur délivrance.
C'est dans la fuite loin du monde qu'est la possibilité d'être heureux; c'est loin des foules qu'on priera et qu'on verra
surgir l'Hélène éternelle, la toujours belle, dont « la nudité de feu résorberait les vies. »
La langue et levers de M. Vielé-Griffin sont adéquats à sa pensée: la langue, simple et ingénieuse à la fois, pleine d'images évocatrices de forêts doucement lumineuses, de prairies aux fleurs printanières, de senteurs champêtres ou marines, d'aurores joyeuses et de calmes crépuscules; — le vers, libre et souple, toujours rhythmé d'après la logique de la phrase et de l'idée; et parfois, quand le sujet l'exige, l'alexandrin paraît, strict et majestueux, et la strophe se déroule, grave et sonore.
A.-F. H.
La Sacrifiée, par Edouard Rod (Perrin). — Doit-on tués son meilleur ami pour le sauver du gâtisme lorsqu'on lui a promis formellement de le faire, qu'on est un médecin sans trop de préjugés et qu'on regarde la mort comme un sommeil sans mauvais rêve, c'est-à-dire lorsqu'on est un libre-penseur honnêtement matérialiste ? Telle est la thèse développée dans le nouveau roman de M. Edouard Rod, et la thèse en question, déjà pas mal lourde à soutenir, se complique de ce que le docteur Morgex, le criminel par devoir... professionnel, est amoureux de la femme de cet ami intime. Ce roman, paru en feuilleton au Figaro, est naturellement un roman plus encore qu'une œuvre artistique de pure essence; mais il convient de louer l'essai curieux de cette psychologie d'un athée cependant croyant par atavisme, qui se sent pris de remords dès que le bonheur le touche du bout de son aile, et qui sacrifie la femme aimée pour accomplir une véritable pénitence de fervent catholique. Il y a de très jolis détails, de saveur douce, dans la description de cette lutte toute intérieure, absolument surhumaine (car le bonheur fait lâches les plus forts). et le triomphe, qui est un succès de désespéré, est justement intéressant par son côté de spiritualité intense dominant enfin la matière.
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Le Culte du Moi. Examen de trois idéologies (Sous l'oeil des Barbares, Un homme libre et le Jardin de Bérénice), par Maurice Barrès (Perrin). — Ayant adopté et prôné un genre de culte qui n'a pas de dissidents, M. Barrés ne peut guère craindre que les objections de l'hypocrisie, et de celles-là il aura toujours raison. Son habileté fut merveilleuse à s'auréoler d'un instinct, — car on peut souffler sur une telle auréole, mais non l'éteindre: elle luit indestructible. A cette heure, il est assez sûr de lui et de ses fidèles pour produire, comme des arguments, une suite d'ironies presque insolentes. Cela est si logique que personne ne s'en fâchera, et si logique que peu comprendront. Ah ! il l'a trouvé, le vrai joujou, l'éternel joujou, et comme il s'amuse!
R. G.
Poèmes et Poésies de Nicolas Lenau, traduits par Victor Descreux (Savine). — Nicolas-François Niembsch de Strehlenau, en poésie Lenau, était surtout connu en France (j'entends de ceux qui ne peuvent, par patriotisme ou par
ignorance, lire un texte allemand), par une des monographies consacrées aux poètes de langue germanique par M. Marchand. M. Victor Descreux a jugé opportun de traduire le Faust de l'auteur autrichien et cent vingt-quatre pièces choisies; il faut lui savoir gré de sa bienfaisance esthétique, quelque inconvénient qu'il y ait à faire connaître un poète par une anthologie, toujours arbitraire. Le Faust de Lenau, même après celui de Gœthe, reste une œuvre originale, encore que l'influence de l'école satanique y prédomine un peu trop. Mais certains épisodes, celui de la Tempête, par exemple, et celui du Lac, sont beaux d'une étrange beauté, et la composition même de ce vaste poème, compliquée à devenir confuse, où s'entremêlent les récits, les dialogues et les strophes de pur lyrisme, représente assez bien « un rêve de plaisir, de crime et de souffrance. » Mais qui dira le charme douloureux et mélancolique de certains lieder, comme les Trois Tsiganes, le Cor du postillon, Sur la tombe d'un suicidé ? Et cependant ces menus chefs-d'œuvre, si consciencieux que se montre le traducteur, ont nécessairement perdu le prestige du rhythme et la secrète harmonie verbale.P. Q.
R. G.
Essence d'Ames, par Emile Hinzelin (Terrin).— C'est un volume de vers, dont les meilleurs ne sont que fort médiocres. Il y a là des maximes:
L'élégant théorème et dont je suis très-sûr,
Les vers dont je ressens la musique sacrée,
Mon espoir, mon amour, c'est du Dieu que je crée...
il y a des récits historiques, avec de tels vers:
Puis son cœur, tout son cœur brusquement arraché
Lorsqu'il vit revenir la terrible civière,
Et le sang qui coulait ainsi qu'une rivière...
il y a de courtes élégies:
Voici revenir l'hirondelle!
Donne vite au brave oiselet
...........................
Une orange ouverte, du lait ...
Pour l'hirondelle, s'il te plaît!
il y a des renseignements géographiques et ethnographiques:
Le globe m'offre ici le pôle Nord : des glaces
Déployant leur rigueur immuable...
Enroulés dans des peaux, nourris d'huile de phoque,
Ils dorment sous la hutte immonde où l'on suffoque...
Il y a enfin quelques poèmes, d'un patriotisme orthodoxe, où l'on retrouve, comme il sied, la plate déclamation et le mauvais style chers à MM. Paul Déroulède et Eugène Manuel.
A.-F. H.
Sur le Banc, par Maurice Talmeyr (Plon). — Il m'est impossible de comprendre l'utilité de ce genre de littérature; car, d'une part, il y a la Gazette des Tribunaux, et d'autre part toutes les mauvaises chroniques de l'à-côté du crime, que font journellement les jeunes Fouquiers moralistes. Maintenant, au point de vue du scandale du jour et de la transparence des initiales — que les gens de police n'ont pas voulu livrer en trop gros caractères aux gens de plume — ces compte-rendus de détectives ne sont pas sans intérêt pour les amateurs de linge sale.
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Pauvre Nina, par Jules de Cuverville (Savine). — De la grâce, beaucoup de grâce attendrie, et comme un balancement berceur de roulis qui vous trouble... en vous donnant peut-être un léger mal de mer. Du reste, le livre, sous une élégante couverture teintée d'or, contient tout ce qu'il faut pour faire.... une bonne action. Il porte en frontispice cette phrase attirant l'indulgence: « Au profit des sinistrés de la Martinique », et à l'intérieur il est plein, je crois, de jolis petits dessins.
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Une Vocation (La Vie littéraire en Province), par Eugène Tarvernier (Besançon, Henri Bossanne). — Ecrit dans une langue pas très sûre, mais de bonne volonté et qui peut s'amender, ce livret narre des épisodes de la vie d'un poète à Besançon. Cela parait exact. Du sentimentalisme, mais aussi de la clairvoyance. Quelques coups de griffe ça et là aux célèbres exploiteurs de la naïveté poético-départementale, les Carrance et les Fuster. Début honorable, en somme, étant sans prétention : petite monographie dont la sincérité n'est pas douteuse.
R.G.
(1) Aux prochaines livraisons: Rose et Ninette (Alphonse Daudet); Les Chants du Divorce (Henri Ner); Les Arlequinades (Remy Saint Maurice); Quand les violons sont partis (Edouard Dubus); Le Cuirassier blanc (Paul Margueritte); Les Charneux (Georges Garnir); Une Conscience d'Artiste (Moutaury); La Passion de Jésus (Antoine Chansroux); Giovanni (Antony Aubin); Les Bas-Fonds de Constantinople (Paul de Régla); et les livres annoncés déjà.