Les Grands Enterrements, par Bazouge, dessins de
Forain, A. Guillaume, Heidbrinck, L. Legrand, Steinlen,
Willette (H.Simonis Empis). - V. présente livraison, page 75.
Cycle patibulaire, par Georges Eekhoud (Bruxelles, Kistemaeckers). — Recueil de nouvelles toutes fort curieuses, toutes représentatives d'un aspect spécial de la Belgique flamande et surtout de la Campine, toutes écrites selon le rude style si personnel qui fait de M. Eekboud on écrivain très à part dans la pléiade belge. Il n'est pas, comme d'autres, un bon artisan, bien consciencieux, opérant avec soin et avec dextérité, ne laissant sortir de ses mains que des pièces parfaites ou parfaitement finies, mais préservées, par ce mode même de patiente fabrication, de la marque : originalité; s'il y a, dans sa manière, beaucoup de voulu, beaucoup d'acquis, il y a aussi beaucoup de spontanéité et beaucoup de tempérament. C'est un réaliste qui dépasse le réalisme, arrive à la création de l'individu, et de là, parfois, jusqu'à la réalisation symbolique, — comme dans le Moulin-Horloge. Les neuf nouvelles n'ont pas toutes la même valeur, et si Hiep-Hioup encore et Gentillie donnent bien la sensation du nouveau, le Jardin, quoique d'assez curieuse psycho-physiologie, intéresse moins: il y a un peu de déjà vu dans cette printanière floraison de chair docile — et candidement oublieuse. Enfin, livre qui, de fragments, a l'unité que donne, même à des fragments, le talent.
R. G.
Paraiso perdido, par Antonio de Oliveira-Soares (M. Gomes, 70, Rua Garrett, Lisboa). — Que vont penser la Romanité et le Félibrige? Un poète d'outre-Pyrénées, fort au courant de notre littérature, M. Antonio de Oliveira-Soares, oublie qu'il est compatriote de Camoens et sacrifie aux dieux barbares. L'an dernier, à propos d'un autre livre de vers, Exame de consciencia, on remarquait ici même combien, selon des rhythmes traditionnels parmi nous, il se montrait un catholique purement latin, c est-à-dire une sorte de païen, s'intéressant surtout au culte extérieur, à l'encens, aux orfèvreries, aux somptueuses étoffes liturgiques. Il n'a point renié
certes — et ce serait fâcheux qu'il y eût consenti — toutes les images éclatantes du catholicisme hispano-portugais: mais il aime maintenant les plus germaniques parmi les poètes de langue française, MM. Maurice Maeterlinck, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, et son art, à leur école, est devenu d'émotion plus intime, de mysticisme plus pile. Dirai-je qu'en cette évolution il me charme plus encore que jadis, par son caractère ambigu et équivoque et pour apprendre aux vagues lumineuses de Cascaes et de Belem les chansons lointaines qui plaisent aux Nixes du Nord?
P. Q.
Baisers d'Ennemis, par Hugues Rebell (Sauvaitre). — Vous êtes un froissé, Maxime, mais vous recherchez avec ingéniosité ce qui vous choque. Riche, vous prenez d'abord comme maitresse une grue. Elle est bête, méchante. Elle ne vous aime pas. Espériez-vous donc qu'une grue ne serait plus une grue, ou l'avez-vous choisie pour souffrir? Un bon mouvement: au lieu de lui réciter du Léon Dierx, mettez Félicienne à la porte et n'en parlez plus. — Félicienne « ne veut pas » quand elle est en toilette neuve. Elle a raison. C'est dans la salle à manger qu'on mange et dans la chambre à coucher qu'on se couche. J'ai entendu une femme s'écrier: « Non, non, pas dans le salon : ça fait des miettes ». — Que de fois, Maxime, vous déposez négligemment sur la cheminée des bank-notes, des billets de banque, sans doute. Mais combien? Et de combien ? Je voudrais savoir, moi. — Ne trouvez-vous pas que les mots tendre, caressant, exquis, mélancolique, fin, suave et rare, reviennent souvent sous la plume de l'auteur? Ces sept mots, je les lui joue à l'écarté; s'il perd, il n'aura plus le droit de s'en servir. Nous verrons sa mine. — Vous voilà marié. Vous avez de l'expérience et vous recommencez encore. Maxime, mon cher Maxime, je vous en supplie, déshabituez-vous de dire, aux meilleurs moments de l'amour, des vers qui ne sont pas même de vous. Maintenant, c'est du Théophile de Vian que vous murmurez à l'oreille de Nell, votre femme légitime. Quelle rage! Si ce qui doit vous arriver vous arrive, vous l'aurez merité ! — Elle est adorable, Nell. D'autres que vous s'en contenteraient et ne lui demanderaient que « le bonheur de diner à deux, de se livrer aux mille fantaisies d'amoureux exultant de boire au même verre, d'échanger, en un croisement de langues, leur nourriture ». Très bien ! très bien ! — Ouiche! Vous essayez de lui faire comprendre Rubens. Vous menez Nell au Louvre, côté des tableaux, quand elle voudrait aller en face, aux grands magasins du même nom. Mon pauvre ami, vous êtes fou. Vous savez à fond l'art de se rendre malheureux. Vous vous remémorez », vous « évoquez » ; sans cesse, des nuages « se lèvent dans votre mémoire ». Vous perdez le temps présent à dire « zut » au passé ! — Et puis, une fois pour toutes, laissez-donc les orgues de barbarie et les pianos tranquilles. Un beau piano à queue, ce n'est pas plus sale qu'autre chose. — Le livre est terminé. L'auteur le relit, et se
juge librement, donne un exemple d'impartialité au critique, et l'attendrit : « Je revois, dit-il dans ses babillages de la sortie, la vie monotone de Maxime, et je me reproche d'avoir un peu trop pris au sérieux un si piètre héros. Je hais tellement les grossiers satisfaits, ces rieurs qui remplissent le monde de leurs éclats et de leur lourde gaieté, que je suis tombé dans l'excès contraire, — les larmes et les lamentations inutiles. Sans doute que Maxime ne fut point heureux, mais son malheur, qui est aussi, je crois, celui de beaucoup, n'a cependant pas assez d'importance pour remplir tout un volume ; et en voulant le dépeindre le plus fidèlement possible, je me suis probablement abusé... Je m'accuse, comme
d'un outrage à la beauté, quand je notais tant de détails mesquins, d'avoir un peu négligé la grâce des amies qui se penchèrent sur Maxime pour le consoler, grâces fuyantes, et, si l'on veut, toutes subjectives, mais (qu'importe ?) aussi réelles. »
— Tous, nous devrions imiter cette franchise et cette modestie. Aussi je rends volontiers à l'auteur deux des mots gagnés à l'écarté, et je les applique à son talent, qui est « exquis et rare »
J. R.
Triptyque des Châtelaines, par Tristan Klingsor (Hors commerce). — Trois courts poèmes qui ne sont pas sans faire penser à MM. Henri de Régnier et Stuart Merrill : mais ce ne sont là que de très nobles affinités, et avoir élu pour frères de pensée de tels poètes n'indique point un goût sans fierté ni délicatesse ; le jour où, sans cesser d'être un loyal et consciencieux artiste, Tristan Klingsor sera pleinement et uniquement lui-même,sera jour de liesse pour les rares personnes qui s'intéressent à la poésie.
P. Q.
Contes Chrétiens. Le Baptême de Jésus, ou les quatre degrés du sceptimisme, par T. de Wyzewa (Perrin). — Notre-Seigneur Jésus-Christ est à la mode ; il figure dans les revues de fin d'années, on rédigea même de spéciales tragi-comédies pour mettre en valeur sa figure aimable et sa douce éloquence ; son portrait est en bonne place rue de Rivoli et dans les passages : bref, c'est un de nos contemporains les plus estimés. L'opuscule que voici n'ajoutera rien à sa gloire, mais du moins, comme il y garde le silence, ne lui portera, croyons-nous, aucun préjudice.
R. G.
Deux Gloires, par F. de Julliot (Kolb). — Trois nouvelles : Deux Gloires, Un cas d'hypnotisme et Changement d'école, traitées d'une manière fine, en un style savant, spirituel, juste à point nouveau. L'ironie domine, mais une ironie qui a sa pudeur et qui ne se livre que par de décents abandons. L'esprit est du ton le plus discret ; il y a des malices de jeune homme de bonne santé, et cependant des coquetteries de femme délicate un peu blasé sur le toujours même mot qu'on écrit
avec un grand A. Rien de joli comme le flirt de ces deux personnages du Cas d'hypnotisme ; ils se dupent l'un l'autre et pourtant se demandent s'ils ne sont réellement pas les victimes l'un et l'autre d'une puissance supérieure (et comme en ce dernier cas... ils ont raison !...} Beaucoup de trouvailles de mots jaillies sans effort. A citer celui-ci, dans le Changement d'école, tombant de la bouche d'une femme pauvre mais très heureuse : « je suis installée...comme une fleur ! » Dans les Deux Gloires, quelques bons coups de patte à la critique littéraire, et puis un adorable type de Juif qui suffirait à faire aimer les autres... En somme, livre agréable à lire, souvent fort bon à méditer.
***
Les Dons funestes, drame féerique en 4 tableaux, par Charles Saunier (Savine). — II me semblerait cruel d'insister sur ces petits dialogues si de maladroits partisans ne nous en avaient corné l'apologie. — L'imitation des poèmes de Maeterlinck y est évidente ; au moins, M. Saunier les a subis ; il en répète les trucs, il use des moyens quasi matériels de produire la sensation de l'étrange, l'inexprimable frisson de l'inconnu, de « la fatalité dormant au fond des choses », qui hantent à la lecture de l'Intruse, de la Princesse Maleine. — Le frisson, d'ailleurs, ici, ne se rencontre point ; il ne reste que le procédé ; le jeu des personnages simples (le prince, la princesse, la tante), les silences, les pressentiments, les phrases affectant la profondeur, les réflexions mélancoliques des vieilles gens, etc. — L'idée point neuve des Dons funestes (illusion, la joie ; réalité, le malheur ; le bonheur porte le malheur en germe) n'est rachetée ni par l'ampleur de l'affabulation, ni par la beauté du décor ou du geste. — Si M. Saunier, néanmoins, se piquait de ma franchise, je lui représenterais qu'il écrit dans une langue fort acceptable, et que très sérieusement, je le pense, il peut nous servir autre chose.
C. Mki.
Rimes de Mai, par Henri Corbel, préface de Gabriel Vicaire, Couverture illustrée de Choubrac (G. Parrot et Cie). — Ce titre : Rime de Mai, dit à la fois que l'auteur a simplement voulu réunir ses poésies de jeunesse sous une couverture et que ces poésies n'ont pas entre elles l'enchaînement qu'on demande aujourd'hui à toutes les pièces d'un livre, qui deviennent comme les chapitres d'un seul poème. M. Corbel n'a pas non plus les préoccupations esthétiques des poètes de cette heure, et, comme l'écrit M. Gabriel Vicaire dans la préface, il « ne vise à rien réformer ». — II cherche la simplicité, en quoi il n'aurait pas absolument tort ; mais encore faudrait-il, cette forme simple, ne point l'employer seulement à la notation directe des choses, ce qui ne fut d'ailleurs jamais de la poésie, et, quand aux êtres, à ne fixer que des sensations. A quoi bon mesurer en lignes rimées ce qu'une libre prose rendrait si bien — et mieux ? On trouve ici, par exemple, et assez intense, ce qu'on appelait jadis le « sentiment de la nature ». Or, ce sentiment-là gagne infiniment peu à être détaillé en
alexandrins. — En somme, le livre de M. Corbel retarde, et jusque dans les mots : car il n'est pas rare qu'un beau vers s'y accouple avec un autre d'expression tout à fait surannée. L'auteur est heureusement très jeune, et, à en juger par deux ou trois de ses dernières poésies, il évolue rapidement, déjà loin de ses Rimes de Mai.
A. V.
Coups de plume, La Jeunesse de demain, par Firmin Vanden Bosch (Gand, A. Siffer). — Deux brochures assez insignifiantes, l'une pour constater le déplorable enseignement des « humanités » en Belgique, se plaindre de Fénelon (le Cygne de Cambrai !), de La Harpe et autres raseurs, crier contre la routine pédagogique, glorifier La Fontaine et la jeune fille des temps promis, laquelle ne lira plus Georges Sand, Feuillet et Georges Ohnet ; l'autre pour prêcher aux jeunes gens catholiques qu'ils doivent s'exercer à la discussion, fournir des journalistes et des orateurs à la Bonne Cause, fonder des patronages, s'opposer au socialisme. — « Conquérir la démocratie aux idées d'ordre et de pacification. » — « Le peuple sait distinguer merveilleusement ceux qui viennent à lui pour faire leurs affaires, et ceux qui viennent à lui pour faire la sienne », etc.
Je ne veux point m'attirer des sottises, et conséquemment je crois inutile de contredire M. Vanden Bosch.
C. Mki.
Empedocle ed altri Versi, par Mario Rapisardi (Catane, Niccolo Giannotta). — Le temps est loin où ce poète, avec son Giobbe, éveillait la curiosité et la contradiction. Il a publié, depuis, bien des vers, sans atteindre à la célébrité de son rival Carducci, qui avait au moins trouvé un peu de neuf. M. Rapisardi est décidément trop impersonnel pour séduire, et la hardiesse, assez modérée, de sa pensée n'est pas soutenue par le verbe. Poète sincère, courageux, orgueilleux, mais incomplet.
R. G.
La Paix pour la Vie, par E. Saint-Lanne et Henri Ner (J. Blanc et Cie). — Les si doucement plates 350 premières pages de ce livre de 500 fourmillent de considérations et de pensées d'un ordre quelque peu moins élevé que ceci : « Quelle que fût d'ailleurs la cause occasionnelle de la guerre de Troie, au fond elle est le premier acte de la lutte entre la Grèce et l'Asie, — qui est, elle-même, la première forme de la question d'Orient ». Seule la dernière partie vaut une lecture attentive. L'écriture en est d'une élégante sobriété, forte précise, et souple suffisamment. Les cités : J.-J. Rousseau, Spencer, Darwin, Milne-Edwards, A. Comte, Amiel, Littré, Toussennel, d'autres, — le sont très à propos. Quant à la signification totale du livre, nous n'avons guère qualité pour en discuter avec l'auteur, nos convictions étant autres que les siennes d'abord, et surtout notre obscurité ne nous permettant point encore des affirmations qui pourraient sembler puériles. L'auteur de La Paix pour la Vie, estime
possible une perfection sociale, avec la Paix pour résultat et moyen à la fois, alors que « la lutte » nous semble être l'éternelle loi qui pousse les générations vers le but que nous ne savons pas. Ce n'en est pas moins une croyance des plus respectables que celle de l'auteur de La Paix pour la Vie, et telles solides pages touchant la « socialisation du pain » nous ont plus fait songer, bien que nous ne soyons pas atteints de cette dysenterie du cœur dénommée altruisme, que les déclamations orchestrées de mandarinats de lettres et les boniments des pîtres littéraires grimaçant sur les tréteaux de ravacholisme.
Si deux ou trois fois nous avons dit « l'auteur » alors que le livre a deux signataires, c'est que pour nous celui qui gâcha les trois premiers quarts de ce livre n'existe pas.
T. C.
L'Adolescent confidentiel, par Michel Féline (Librairie de l'Art indépendant). — Les jolis vers ne sont point rares dans cette œuvrette, mais l'âme de l'adolescent qui écrivit ces pseudo-confidences est sans doute un peu artificieuse et dénuée de toute sincérité. Les préférences de M. Michel Féline vont à Jules Laforgue, à qui le recueil est dédié. L'influence du poète de l’Imitation de N.-D. la Lune est flagrante. Elle se traduit par quelques pastiches maladroits et surtout par une recherche d'originalité qu'on peut trouver excessive. Mais peut-on formuler sérieusement un tel reproche à l'heure où tant de pleutres chantent la même ritournelle et s'exténuent à violer la même Muse-Maritorne ? A coup sûr, M. Michel Féline cherche sa voie. Le décousu de la plaquette qu'il nous donne aujourd'hui l'indique suffisamment. Il se possèdera mieux dans son prochain livre, je pense, et il convient d'attendre jusque-là pour le juger. Cependant, qu'il prenne garde aux trop brusques écarts d'imagination. Il faut avoir acquis une certaine maîtrise pour jouer avec les images disparates sans tomber dans le grotesque. Les vers suivants, cueillis dans l'Adolescent confidentiel, mais dont le déliquescent Adoré Floupette pourrait presque revendiquer la paternité, me semblent un exemple probant de ce que j'avance :
Rivage heureux où des sourires sont mes pleurs,
Où les pucelles font pipi sur les fleurs.
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Qu'une chienne ivre de toi
Te ronge les testicules,
Écoute les Renoncules
Sangloter au jardin froid.
J. C.
Raggi e Ombre, Versi, par Alfio Bellusio (Catane, Niccolo Giannotta). — Ce sont des vers faciles décrivant des paysages siciliens avec un vif sentiment de la nature ensoleillée, de ce pays que Verga nous a fait connaître. Les expressions vespro dorato, via luminosa, divino baccio del sole, etc., disent le ton de cette poésie où, malgré le titre, il y a peu d'ombres.
R. G.
De Jérusalem à Constantinople, par Lucien Trotignon (Savine). — Les notes d'un récent voyage en Palestine et en Syrie, des choses sur Stamboul, les ruines du Levant. — M. Trotignon écrit simplement, pour dire juste ; ses descriptions parfois amusent et nous montrent un Orient de vaudeville, — que nous soupçonnions bien un peu d'ailleurs, tant nous savons envahissante la maladie « modernisme ». Mais, quand même, la certitude est cruelle ; on a beau nous chanter le Progrès, il est décevant et comique d'apprendre qu'on construit un chemin de fer de Joppé à Jérusalem ; qu'en arrivant dans la Sainte Sion on peut déjeuner au Restaurant de la Mer Morte et prendre sa demi-tasse au Café du Jourdain ; que les émirs du Liban se promènent en complet « Belle-Jardinière », reçoivent dans un salon au mobilier d'acajou et montrent le portrait-chromo du général Boulanger. — Et que dire de cette malheureuse Byzance où l'on rencontre des romans d'Ohnet aux vitrines, des chapeaux de soie et des redingotes dans les rues, des tramways, la gare d'un funiculaire ? Voilà qui donne une fière idée de la civilisation contemporaine. Malgré ces constatations ironiques, M. Trotignon a placé dans son récit quelques jolies pages de décor. Il est regrettable que des livres comme le sien soient si rares chez M. Savine.
C. Mki.
Les Aubes mortes, par Jho Pale (Nevers, Mazeron frères). — Des vers flasques et incolores, pour lesquels on se plaît à rêver des accompagnements d'orgue de barbarie ou d'accordéon :
Va, rose, à celle que j'adore,
Va demander dans un baiser
Un peu de ses cheveux qu'encore
Je voudrais pouvoir embrasser.
M. Jho Pâle est un intrépide pasticheur que rien ne saurait rebuter. Après avoir chanté « les alcyons, les nacelles, les filles d'amour et les étoiles d'or », suivant Musset et Lamartine, après avoir chanté les bois et les pioupious selon M. François Coppée, il se permet des facéties macabres à la façon de Rollinat et apostrophe familièrement le choléra-morbus :
Et ses bras décharnés se tendent vers le Gange.
Il y dormait si bien accroupi dans la fange,
Pauvre vieux choléra-morbus !
Plus loin, il risque des confidences qui, je l'en avertis charitablement, ne sont pas sans quelque péril par ces temps de ligue Julesimonienne :
Ce rustre, ce butor, deux, trois fois la semaine
Fait sa petite affaire ainsi qu'un animal,
Puis ronfle comme un sourd pendant que sa bedaine
A des gargouillements...
Enfin M. Jho Pâle, qui fréquente de temps à autre chez
Bruant, en rapporte des vers de haut goût dans le genre des suivants :
Fi des troquets pisseux et des vins en fucshine !
A bas les zincs luisants où lichent les salauds !
Un tel recueil ne serait pas complet sans le refrain patriotique d'usage ; l'auteur n'a eu garde de l'oublier, et M. Déroulède pourra dormir content :
Ils vont, et le drapeau déroulant au soleil
Ses trois belles couleurs, emblême de la France,
Semble dire : Demain ce sera le réveil :
Vous verrez de mes plis s'envoler la Vengeance !
Après ces quelques citations, disputer de la technique des vers qui composent les Aubes mortes serait oiseux ; néanmoins, il convient d engager M. Jho Pâle a compter sur ses doigts lorsqu'il écrit, car dans la seule pièce intitulée Bon petit coeur on relève cinq ou six fautes de métrique. Le reste est à l'avenant.
Dans un sonnet-préface, M. Camille Soubise nous confie que l'auteur, « très fin de siècle », donnerait volontiers sa philosophie et ses vers pour une pomme. J'estime qu'en ce faisant M. Jho Pâle se montrerait fort avisé, car il ne perdrait pas au troc.
J. C.
L'Amoureuse Chanson, par Jean de Brion (Léon Vanier). — M. Jean de Brion a écrit, outre quelques autres vers exquis :
Cette fontaine, avec son eau claire qui dort,
Semble une âme d'enfant sur qui plane la mort.
A cause de cette seule image, beaucoup de crimes lui seront pardonnés, y compris « les effluves parfumées » qui semblent d'un français suspect, et nombre de « vibrations, lèvres brûlantes, fouillis chauds de dentelles, folles chansons, suaves musiques », et autres confiseries.
P. Q.
L'Invisible, par J. de Tallenay (Bruxelles, Lacomblez). — Un bien beau titre et une extraordinaire image de Georges Morren, gâchés par un récit absolument dépourvu d'intérêt au point de vue des sensations de l'au-dela. L'auteur n'a découvert, dans le royaume de l'ombre, que l'âme bourgeoise d'un vieux rentier, et il ne l'a fait revenir sur terre que pour assister aux fort peu intéressantes manœuvres de son ancien valet de chambre. Vol de testament, jeune fille de chambre persécutée mais vertueuse, neveux noceurs et neveux sages, tout le bric-à-brac d'un romantisme de bas étage s'entasse dans ce gros livre inutile. Au courant de l'histoire, l'eau s'appelle l’élément liquide, et les filles de service y sont toujours vives et alertes. Du reste, œuvre d'une moralité irréprochable.
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Tiradentes, esquisse biographique, par Montenegro Cordeiro (chez l'auteur, 1, place de l'Estrapade). — « Le 15 mars 1892, quelques étudiants brésiliens se sont réunis dans le but de prendre l'initiative de la célébration, à Paris, du centenaire de la mort de Tiradentes, le précurseur de l'indépendance politique du Brésil. » La fête eut lieu aussi à Berlin, et c'est en souvenir de l'hommage rendu à Tiradentes par ses compatriotes actuellement en France et en Allemagne que M. Montenegro Cordeiro a écrit sa brochure, — non pas, d'ailleurs, comme le dit modestement le sous-titre, une simple esquisse biographique, mais bien l'histoire synthétique et très documentée de l'illustre Brésilien.
A. V.
Contes de Fées, par Mme Guzman (Savine). — Littérature de grande dame. Des afféteries de bas aloi qui, pourtant, ne font rien oublier des contes de jadis. Pas assez clairs pour des contes destinés aux enfants, pas assez symboliques pour des fantaisies destinées aux grandes personnes. Deux morceaux intéressent à la fin du livre par l'entière candeur de leur allure et leur beaucoup plus profond dessous : Le Lièvre et la Volonté assoupie.
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Contrastes et Charbons verts, La Médecine et la Biologie dans la Grèce ancienne, Choix de Poésies inédites, par Dimokidès. (Savine). — Polissonnerie, cacographie et maboulisme ; derrière tous ces titres, deux douzaines de méchantes pièces, où l'auteur parle de la sorte :
Sans plus secrets desseins,
Que chacun de nous puisse
Se fleurir à vos seins
Sans oublier la cuisse.
D'un rut de jouissance énervé, soül, je souffre,
Attestant de ma force un élément trop las,
Pendant qu'elle vomit de son nombril du soufre,
Qui colore son poil et ses cheveux lilas...
C'est son corps qui fait virevolte.
Et s'égard (sic) un soir triomphant.
Enfin, il faut être pitoyable aux étrangers ; mais je croirais facilement à une farce !
C. Mki
Les Sphinx, par Jean La Fargue (Lemerre) — Le titre est le meilleur de ce livre où l'on crie « Rendez l'Alsace », où l'on glorifie Gambetta — encombrant et boursouflé personnage qui parlait bien mal le français (voir les phrases gravées sur le hideux monument qui s'érige place du Carrousel), — et où se lisent maints vers pareils à ceux-ci :
Je n'ai plus aujourd'hui pour lutter d'autres armes
Qu'un lâche désespoir à ses pieds répandu...
Ventre, viscère ignoble armé d'une mâchoire,
Monstre abject qu'on rougit de porter dans son flanc...
Nous savons à présent quelle force indomptable
Font les cœurs en un point tous ensemble tendus...
Xerxès a commandé des chaînes pour la Grèce...
... Viens te retremper dans le labeur viril :
II est d'autres amours que l'amour de la femme...
A.-F. H.
(l) Aux prochaines livraisons : Claires Matinées (Léon Hély); Pochékhonié d'autrefois (Chtchédrine) : Corallé (Mme Guzman); Peau de satin (Paul Ponsolle): L'Apostolat positiviste au Brésil (Miguel Lemos) ; Le Voyage des Félibres et des Cigaliers sur le Rhône et le Littoral (un groupe d'écrivains); Un Amant (Emily Brontë); L'Envol des Rêves (Arthur Dupont) ; James Ensor (Eugène Demolder); Sur la Mandoline (Marcel Sérizolles); Bois ton sang (Pierre Dévoluy) ; Sur le Retour (Paul Margueritte); et les livres annoncés déjà.