Les Petits Lundis

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Charles Morice, « Les Petits Lundis », Mercure de France, t. I, n° 10, octobre 1890, p. 380-381.


« LES PETITS LUNDIS »
par A. Bunand (chez Perrin et Cie).


 Un livre de critique signé par un poëte, il y faut courir. À travers les ménagements commandés par le souci d'un public spécial dans sa généralité, le public des « grands journaux »,— l'auteur n'aura pu se tenir de laisser voir comment se nuancent dans son esprit les pensées qui tous nous agitent, artistes de cette heure, et sans doute nous aurons profit à le lire, plaisir à l'entendre en dépit des réticences obligatoires. Les « Notes de critique » de M. A. Bunand n'ont pas trompé cet espoir qui m'attirait vers elles. Non qu'ordonnées par le hasard et l'instant, écrites l'an dernier pour le feuilleton, elles n'aient tous les défauts du Hasard et de l'Instant : l'impression un peu immédiate ; la gène du sujet imposé par le fait des publications journalière, etc... Mais il y a, en revanche, la vivacité qui accompagne la nouveauté, et c'est plaisir de voir qu'elle ne s'est point fanée, cette vivacité heureuse, encore que plusieurs des nouveauté qui l'inspirèrent alors aient, depuis, bien mûri.
 En cent questions de détail, le lecteur (si c'est moi) n'est pourtant point d'accord avec l'auteur. Le lecteur estime, çà et là, l'auteur trop indulgent, un peu timide ou d'une audace trop traditionnelle. Gouailler l'Académie, c'est vieux. Que si la même plume, qui fut si maligne pour la Coupole, se fait louangeuse pour M. Daudet, je m'inquiète. (En vérité, il vous apparaît si pur, si « étincelant », ce sertisseur de cailloux ? Vous écrivez le mot Poëte à propos de lui ? Qu'il soit adroit, alerte, je veux bien, et qu'importe si ses préoccupations sont insignifiantes, s'il est superficiel et vide, s'il n'a ni monde intérieur ni don d'éterniser les apparences ? « Délié, pimpant, léger..... » Les adjectifs ne vous coûtent donc rien ? Léger ! je conteste ; mais : étincelant et léger ? le poids, tout juste, et l'éclat des vessies proverbiales qu'il ne faut pas confondre avec les diamants, ni les lanternes.) — Par contre, le lecteur est un peu fâché qu'on soit si dur pour le père Dumas. « Manouvrier des lettres », soit, mais imagination violente et sens des grands mouvements dans les sensibilités ordinaires. Pas de profondeur ? pas de prétention. Bon homme. L'œuvre n'est plus à lire ; la légende est à garder.
 Mais de tels dissentiments s'atténuent dans la communion d'enthousiasme et d'adoration où l'auteur et le lecteur se rencontrent devant les pures idées de Beauté et de Vérité, et dans une admiration commune pour quelques-uns des plus grands maîtres contemporains. — parfois aussi les plus contestés : Barbey d'Aurevilly, Mallarmé, Verlaine, Villiers de l'Isle-Adam...
 Il y a des pages où le talent se révèle et se prouve, incontestablement : le bel éreintement de M. Lemaître, par exemple, le noble article consacré à la mémoire d'Émile Hennequin, l'étude sur Parallèlement, et Pantomime et Pierrot. À coup sûr, M. Bunand est désigné pour écrire sur les œuvres d'art,— sans oublier d'en faire.

Charles Morice.


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