Les livres

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Mercure, « Les Livres, Choses d'Art, Curiosités, Echos divers », Mercure de France, t. II, n° 13, janvier 1891, p. 55-64.


LES LIVRES (1)



 Les Chants de Maldoror, par le comte de Lautréamont, avec une lettre autographe de l'auteur, un frontispice de José Roy, et une notice de l'éditeur (L. Genonceaux). — M. Remy de Gourmont devant consacrer à ce livre son prochain article, nous nous contenterons aujourd'hui de signaler cette œuvre étrange, et de féliciter M. Léon Genonceaux de l'avoir remise en lumière et dans une édition si soignée. A. V.

 Poésies et poèmes en prose, par Ephraïm Mikhael (un volume de la petite bibliothèque littéraire, chez Lemerre). — Voici rassemblées eu un livre, hélas posthume ! toutes les œuvres d'Ephraïm Mikhaël. Jamais la stupide immoralité des choses n'apparaît plus cruellement qu'aux heures mauvaises, où s'en vont ceux dont les lèvres mystérieuses nous révélaient les secrets du rêve et les magnificences cachées de la parole. Ici le deuil est plus tragique : car nul mieux que ce jeune homme de vingt-quatre ans n'a dit l'irrémédiable tristesse de vivre, la vanité de la joie et de la douleur, la double déception de l'esprit et de la chair, ni mieux rendu leur gloire primitive aux mots les plus simples, aux mots des petits enfants et des humbles, comme mauvais, saint, heureux, doux:
 Laisse les vendangeurs en leurs mauvaises vignes.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Et pour avoir dormi sous de saintes étoiles.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Rendit ses douces mains comme des fleurs de paix.
 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 Prés des nymphes riant dans les fleuves heureux.
 C'est qu'il eut par dessus tout les deux dons merveilleux qui sacrent les poètes : celui de créer des personnages symboliques qui représentent en eux toute une partie d'humanité, et celui d'inventer des images qui rendent sensibles ces êtres de fiction. Et tous sont nés de sa parole évocatrice; ils sont sortis à son appel des terres invisibles, tous, le Solitaire du parc clos aux voix du monde,la Dame en deuil éternellement incertaine entre le cilice et les baisers,le Mage incapable de haïr les barbares qui deviendront les héros des légendes futures, et la divine Etrangère lapidée par les femmes et les prostituées, en haine
 . . . . . . . . . . . .de l'amour, des rêves et des dieux et le Chevalier captif de la Magicienne
 Qui méprise la guerre à cause de la gloire
et dont l'amour seul peut remplir

. . . . . . . . . . . . . le grand coeur ténébreux
Divinement élu pour les douleurs obscures.


 Il a revêtu les princesses et les guerriers d'éclatantes simarres et de radieuses armures et leur a donné à chacun un geste et une attitude spéciale. Son œuvre cependant décèle une parfaite unité de conception, de langue et de rhythme depuis le premier poème : Rêves et désirs, écrit en juillet 1884, jusqu'à cette suprême ébauche en vers libres et assonants, datée d'avril 1890 :

Le ciel, ce soir, est un rideau de fière pourpre
Et d'or féroce et d'orageuses broderies.
Ecoute! au delà des champs on entend sourdre
Je ne sais quel bruit de magiques cavaleries
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

jusqu'à la dernière pièce achevée : A Celle qui aima le Cloître, dont je veux détacher les strophes finales, plus significatives que toutes les louanges :

Tous les deux, nous avons trop longtemps contemplé
Les nuages en fuite et les roses du cloître ;
Notre puissant amour pourra durer et croître,
Notre cœur restera divinement troublé.
Peut-être expions- nous l'ivresse merveilleuse
D'avoir rêvé jadis à des pays meilleurs ?
Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs
Et même le bonheur ne te fait pas joyeuse.

P. Q.

 Mikhaël fut doué d'une surprenante précocité, surtout, c'est rare, comme prosateur. A dix-neuf ans il écrivait des pages tout à fait charmantes par la franchise de la philosophie, telles que Le Magasin de jouets, avec, déjà, de jolis bouts de phrases : « Ces belles Poupées, vêtues de velours et de fourrures et qui laissent traîner derrière elles une énamourante odeur d'iris... » Dans Miracles, l'incroyance au divin est analysée avec une belle sûreté de main et d'intelligence ; presque partout, on sent un esprit maître de soi et qui tient à ne revêtir de la forme que des idées qui valent la forme. Spécialement l'attirent les légendes significatives et révélatrices d'un état d'âme hermétique : il aime la magie et le prodige, les créatures oppressées de mystère et qui ont « mal à la raison ». Le chef-d'œuvre des proses, c'est Armentaria, poème très pur, très clairement auréolé d'amour, — fleur cueillie en quelque légendaire, qu'il métallisa sans rompre une nervure, sans briser une pointe, sans troubler une nuance, fleur mystique et candide, flos admirabilis ! Il y a des lignes comme celle-ci ; Armentaria dit : « Soyons purs dans les ténèbres et allons au ciel silencieusement. »

R. G.


 Thaïs, par Anatole France (Calman Lévy). — M. A. France, ne le sait-on pas bien, est parmi les plus subtils et les plus délicats. Il serait, dans l'empire où régnerait M. Renan, prince. Est-ce un éloge ? L'écrivain est de bonne race. Le penseur a renoncé. Tous les partis que peut prendre la raison humaine, ils le disent, sont également inconsistants et nous n'avons guère à choisir que parmi de plus ou moins plaisantes erreurs. M. France a fait son choix d'erreurs. Il serait imprudent de lui opposer les nôtres. Est-il nécessaire de discuter les siennes ? Il y tient si peu !
 Vous savez quelle belle légende, celle de Thaïs. Quel merveilleux poème dormait là, qu'un poète avec quelque foi — eût-elle été éphémère pourvu qu'elle eût été sincère dans l'instant — aurait écrit pour toujours. M. A. France :
 « Anachorètes et Cénobites...estimaient que les maladies de nos membres assainissent nos âmes et que la chair ne saurait recevoir de plus glorieuses parures que les ulcères et les plaies. Ainsi s'accomplissait la parole des prophètes : « Le désert se couvrira de fleurs... » Les diables qui livrent de si rudes assauts aux bons anachorètes n'osaient s'approcher de Paphnuce. La nuit, au clair de lune, sept petits chacals se tenaient devant sa cellule, assis sur leur derrière, immobiles, silencieux, dressant l'oreille. Et l'on croit que c'était sept démons qu'il retenait sur son seuil par la vertu de sa sainteté... »
 Agréable ironie ! Le ton bon enfant était-il parfaitement en harmonie avec la gravité — pourtant! — du sujet? M. A. France l'a pensé.
 Ce Paphnuce, abbé miraculeux d'Antinoï, s'en ira dans Alexandrie, pour y chercher la grande courtisane Thaïs et la ramènera, comme une proie, dans l'aride paradis de la Thébaïde. Mais, blessé dans ses sens par la beauté, tandis que l'impure deviendra une sainte, le saint sera livré à tous les démons de toutes les concupiscences. Thaïs va mourir : Paphnuce est là, l'exhortant, le sacrilège confesseur, à la vie, à la joie, au plaisir, à l'amour. Vénus, vaincue dans son trône d'Alexandrie, prend au désert une épouvantable revanche.
 Croit-on cette fable bien logique ? La puissance mystique assez haute naguère pour renverser les remparts païens dans toute leur gloire, pour arracher au myrte royal d'Alexandrie sa plus splendide fleur, — pouvait-elle, cette vertu de la foi et de la charité, périr de sa victoire même ? Le fallait-il ? Pourquoi ?
 Cela sans doute est indifférent. Dans l'erreur qu'il lui plut d'élire cette fois, M. A. France a suivi, je pense, quelque voie vaguement scientifique, et personne n'ignore plus, n'est ce pas, que ces âmes furieuses et tendres, ces Pères de la Thébaïde n'étaient que de pauvres hystériques à la merci du mal affreux qui avait éteint leur intelligence. Soit! Des « Savants » l'ont « dé-mon-tré » et je ne veux point discuter leur compétence. Soit ! Mais j'ai choisi une autre erreur...
 Au secondaire(2) point de vue de la littérature, la nouvelle œuvre de M. A. France est des plus recommandables.

Ch. Mce

 Les Œuvres et les Hommes, par J.-Barbey d'Aurevilly. Tome XII. Littératures étrangères (Lemerre). — Dernières Polémiques, par le même (Savine). — Le premier de ces volumes contient, entre autres, les études sur Shakespeare, Sterne, Heine, Hoffmann, Gœthe, Gogol, Dante, Swift, Byron, Léopardi, E. Poe. Parmi les pages du second : La Cuvette de Sainte-Beuve. Le Robespierre des honnêtes gens, les Singes à l'Académie, les Petits grands Hommes, les Filles, Bas-Bleus et Ratés, etc. C'est toujours, qu'il rédige en poète érudit de l'histoire littéraire ou qu'il s'emballe, en journaliste de violence et d'ironie, sur les minces faits de l'actualité, le grandiloquent et inquiétant d'Aurevilly. De ces produits d'un labeur excessif que lui imposa l'indifférence contemporaine pour les œuvres d'art, la publication n'est pas inutile. Nous devons connaître ses œuvres complètes; son génie impose la déférence de ne mépriser rien de ce qui s'élabora dans une cervelle si merveilleusement compliquée. Cette série, qui aura près de vingt volumes, ne le fait pas plus haut, mais elle le fait plus vaste. La femme dévouée à la tombe et au nom qui a entrepris ce monument doit donc, pour sa persévérance, être humblement remerciée par tous les amants de la littérature aurevillienne.

R. G.

 L'Imprévu, par Gustave Guiches (Tresse et Stock). — Il ne suffirait pas de dire que ce roman est un livre du genre amusant, attachant, un livre pour femme et qui finit presque bien. C'est encore, surtout dans les deux cents premières pages, une étude rare et originale du « soi ». Léon Dussol y cultive son égoïsme avec amour, comme une tulipe monstrueuse. Il se connaît, s'approuve et s'enivre de son vin. S'il refuse de l'argent à un inventeur, c'est parce qu'il ne veut point « encourager certaines folies ». A-t-il fait un serment à une femme, il trouve aussitôt de solides raisons pour être parjure. En effet, « un engagement obtenu par des procédés de séduction auxquels succombent les volontés les plus fermes ne saurait être valable ». Cette femme qui dérangerait , « la tranquillité de sa vie », il la repousse avec fermeté, sans colère toutefois, sans rage, car le bon sens l'a toujours « sauvé du danger des paroxysmes. »
 — « Mais je vais être mère », dit Adeline.
 — « Précisément, répond-il, je connais une maison discrète. Il y a un parc immense, des fleurs partout, une salle de fêtes dans laquelle on donne des concerts très recherchés. Je suis sûr que vous ne vous ennuierez pas. »
 La lutte continue entre cette impudente philautie de l'homme et le doux entêtement de la femme.
 — « Soit, restez, dit-il enfin. Mais je vous préviens que nous vivrons sur le pied de guerre et que vous aurez à souffrir. »
 — « Je sais souffrir ». dit-elle simplement. Et toujours Léon Dussol porte son égoïsme comme un habit de rigueur, comme un drapeau. Il torture savamment, au moyen d'ingénieux supplices, cette maîtresse qui s'impose. Elle a promis de s'en aller, après la naissance de son enfant. Tiendra-t-elle sa parole ? N'abusera-t-elle pas des circonstances pour se lier à son amant plus étroitement encore ? Dans une scène d'une violence un peu mélodramatique, il blesse la mère et cause la mort de l'enfant. Alors il lui semble qu'il a « assez, trop même » prouvé combien il sait défendre d'indépendance de sa vie, et qu'il doit à Adeline une généreuse compensation. Il lui offre son nom. Elle refuse et part. D'abord étonné qu'elle n'ait pas compris la délicatesse de son intention, il est tout près de l'accuser d'ingratitude. Volontiers, il dirait d'elle : « Peut-on être personnel à ce point ! » et, c'est là l'imprévu, il s'aperçoit qu'il aime éperdument sa victime. La manière furieuse dont il la détestait fait pressentir quel sera son amour.

 Et je crois qu'au lieu de suivre Léon Dussol dans sa brusque évolution, dans ses courses folles en compagnie d'une Américaine conventionnelle, jusqu'à sa confrontation romanesque avec cette Adeline qu'il a faite martyre et qui s'en trouve tout heureuse, le lecteur gagnerait à relire cette première partie du livre de M. Guiches, ces deux cents pages que, me servant d'une expression télégraphique fort en usage chez les hommes de lettres, je trouve « très bien ».

J. R.

 Petits Français, par Eugène Morel (Savine). — Eugène Morel et l'empereur d'Allemagne (lire le dernier discours de celui-ci) sont absolument du même avis au sujet des lycées ; trop de latin, trop de grec et pas assez de notre histoire de France. Un projet d'alliance en perspective, quoi ! L'Alsace et la Lorraine rendues en échange d'un bon traité sur les études à faire, signé par l'auteur de l’Ignorance acquise. Tant mieux, c'est ainsi que nous devons entendre le nouveau chauvinisme, consistant a taper sur nous-mêmes, histoire d'empêcher les autres de taper plus fort à leur tour.
 Eugène Morel, au milieu des différentes façons décadentes d'écrire, a sa façon à lui, très personnelle ; il alambique, mais il chauffe furieusement; si, quelquefois, on demeure perplexe devant une phrase, on a toujours vu la pensée en jaillir, comme une flamme assez féroce. « Laissez-nous pleurer, puisque ça nous amuse », déclare Eugène Morel au nez des bourgeois ébahis (je parle des bourgeois de lettres, car je doute que les autres le lisent). Et il finit par pleurer pas mal de fiel, ce qui ne doit point l'amuser toujours quant à la préparation du liquide... Il prend deux petits Français, l'un névrosé, l'autre sain et bon vivant, et les promène à travers les premières études de l'existence. Il ressort de ces études qu'il vont voir des femmes... C'est on ne peut plus français et aussi très humain, à Paris comme à Rome, pour ne pas dire comme en Prusse. Tous les chemins grecs ou latins mènent les petits jeunes gens au gros chiffre en question, point prévu par les tables de Pythagore. Je crois que l'auteur insinue qu'il serait excellent de donner des femmes aux collégiens dès qu'ils en ont envie, pour les calmer... Sarcey dirait : « Moi, je veux bien ! » Mais Eugène Morel n'a pas réfléchi qu'en pleurant de la sorte il finirait par nous donner, à nous, une petite démangeaison de mauvais aloi. Toutes les questions savantes du livre sont traitées soigneusement, à part cette gaudriole, et dans la déchéance de son névrosé, s'il y a du parti pris, il y a surtout la connaissance approfondie de la cause. Mais pourquoi l'autre petit Français est-il seulement ébauché quand le névrosé tient une place énorme? Veut-il prétendre, cet auteur morose, que le névrosé est, en France, le plus abondant des rejetons ? Alors, que conclure, puisque, au point de vue général, le malade est une exception?

 En somme, un livre fortement épicé, où toutes les cinq ou six pages des éclairs fusent par-dessus la noirceur du creuset. Un beau livre, saus trame, et solide cependant comme la vie, mais une vie exceptionnellement torturée. J'aime mieux l’Ignorance acquise.

***


 La Preuve égoïste, par René Ghil (Prix : 1 fr. 50. — Aux Ecrits pour l'Art, 47 bis, avenue de Clichy). — La Preuve égoïste est le livre III de Dire du Mieux, première partie de l'œuvre de M. René Ghil: Nous n'avons qu'à le signaler, un de nos collaborateurs devant prochainement écrire au Mercure de France de tous les livres parus de M. René Ghil.

A. V.


 Physiologie de l'amour moderne, fragments posthumes d'un ouvrage de Claude Larcher, recueillis et publiés par Paul Bourget, son exécuteur testamentaire. — (Lemerre). — Voir plus haut, page 3 : « Des êtres d'un esprit fin... »).

R. G.


 Sous les tentes de Japhet, par Julien Mauvrac (L. Genonceaux). — L'histoire de l'antisémitisne contemporain, par un sorcier. Ce livre est un véritable bijou politique. Toutes les facettes mises en lumière et serties de malignes petites couleuvres d'or. De l'érudition et de l'économie sociale (mon Dieu oui) dans l'intérieur d'un boudoir. Un volume qu'un homme d'esprit doit goûter, qu'une femme d'esprit peut comprendre. Entre les lignes, des méchancetés veloutées bonnes à faire pendre l'auteur. A remarquer des citations, merveilleusement choisies et encadrées, de tous nos joyeux députés boulangistes. Livre sans conclusion brutale, par conséquent vrai livre d'artiste. (Un bon point à Genonceaux, qui a risqué l'épée de Drumont en éditant cela!)

***

 Poèmes et Poètes, par Emile Hinzelin (Perrin et Cie). — M. Emile Hinzelin n'est pas un « moderne », et nul doute qu'il s'en flatte : il y a des abîmes entre lui et nous. Au fond, il est d'un optimisme fort respectable, officiel allais-je dire, mais bien vieillot ; et sa forme, très sage, serait d'un poète d'avant le Parnasse et sans les belles hardiesses romantiques. — Entre autres poésies honorables : La Dernière Fée, et aussi Le Baiser, où se trouve ce vers : Le baiser de Judas, c'est encore un baiser.

A. V.

 Satane, par Sophie Harley (L. Genonceaux). — C'est un roman érotique. L'auteur parle franchement et quelquefois français. Cela commence chez Sapho et finit chez le Diable : oui, nous sommes naïvement induits au péché de bestialité, — non sans logique, certes, après tant de dépenses selon les modes ordinaires ! Faut-il dans ce dénoûment voir quelque intention de moraliste ou tout au contraire assumer ce rôle et reprocher à Mme Harley la part qu'elle prétend, prendre dans la perversion contemporaine ? Ou encore lui savoir gré de cet effort, semble-t-il, qu'elle fait pour nous initier au secret des sensations et des sentiments féminins? Ou garder de ce récit le souvenir d'un cauchemar dans les roses, de passions vite allumées, légères et folles, d'une entreprise de luxure sans portée et qu'on eût pu désirer plus élégante, moins dite ? Mais, franche et naïve, et point si perverse que cela, la toute neuve romancière voudra mériter de l'indulgence et changer de style et de sujet. Car, en vérité, Madame... !

CH. Mce.


Fantaisie mnémonique sur le Salon de 1890 (Champs Élysées), suivie d'un essai statistique établi conformément aux données les plus récentes de la science, et d'une promenade au Salon du Champs-de-Mars, par Paul Masson (L. Genonceaux...) Ouf! quel titre ! Quant à la fantaisie, elle se singularise surtout par sa durée : 350 pages de jeux de mots par à peu près, voilà qui égale pour le moins la Tour Eiffel. Mais il sera beaucoup pardonné à M. Paul Masson, parce qu'il dit en ses Prospylées (Préface pour le profane) : «... des deux buts que doit se proposer l'écrivain dans des essais de cette nature : exaspérer les gens graves et amuser les autres, je serai toujours sûr d'avoir atteint l'un. »

A. V.


La Bohême bourgeoise, par Ch.-M. Flor O'Squarr (L. Genonceaux). — Pas de chance, décidément, ce titre-là ! Exploité par Oscar Méténier et Flor O'Squarr (Ch.-M.), il plane encore au-dessus du néant. Flor O'Squarr nous promène dans un monde de lettres où son héros, un homme de lettres (trouvez-moi un héros de roman qui ne le soit pas, aujourd'hui?) réussit dans tout ce qu'il entreprend et a, sans effort, beaucoup de talent. Ce n'est ni Bohème ni bourgeois, et quant au type de Darnaud, le grand directeur de la grande revue, il nous semble qu'avec une très petite apostrophe entre le D et l’A ce serait un peu l'immortel Arnaud de l’Éducation sentimentale. Cependant, livre écrit fort correctement et par un auteur qui connaît bien la langue ordinaire de M. Alphonse Daudet.

***


Toiles ébauchées, par Hugues Lapaire(Savine). — Eh bien, M. Lapaire, ne vous repentez-vous point déjà? Que ne vous êtes-vous pénétré du dernier alexandrin de votre livre : « Hélas! que peut-on faire en voulant se hâter! » ll eût été bien simple pourtant de débuter par Toiles ébauchées, qui, à défaut d'originalité, décèle au moins une certaine science du vers et un effort d'art.

A. V.


 (1) Au prochain fascicule : La Gloire du Verbe (Pierre Quillard) ; Les Chants de Maldoror (comte de Lautréamont); Fleurs d'oisiveté (Charles Guinot) ; Les Vieux (Ernest Bosiers) ; Le Poème de la chair (Abel Pelletier) ; Les Psychoses (Arsène Reynaud); Un Simple (Edouard Estannié).


 (2) Secondaire, dis-je, la littérature littéraire, celle qui n'est pas dans l'esprit du poète un moyen de grandir vers son propre et personnel Dieu.

Ch. Mce

CHOSES D'ART

 Une double joie pour les iconographes futurs : Eugène Carrière vient de peindre un très beau Portrait de Verlaine, et Paul Gauguin de dessiner un admirable Moréas qui illustrera un des prochains fascicules de « la Plume ».
 A voir :
 Chez Durand Ruel, des Claude Monet ; des Puvis ; des Pissaro ; La petite fille endormie avec son chat sur les genoux, de Renoir ; des Manet. etc.
 Chez Boussod et Valadon (Boul. Montmartre): des Corot ; Daumier ; Degas ; Carrière ; Pissaro, Monticelli ; Odilon Redon ; Paul Gauguin (peintures, sculptures sur bois, grès et lithographie) ; Raffaëlli ; Lautrec: Guillaumin ; etc.
 Chez Tanguy (rue Clauzel) : des Vincent van Gogh ; Bernard ; Guillaumin ; Gauguin ; Luce ; Signac ; etc.
 Dans le vestibule du Moulin Rouge: un quadrille et un cirque, de Lautrec.

G. A. A.


CURIOSITÉS

 Le Mercure galant de 1672, devenu Mercure de France, et continué sous diverses formes jusqu'à nos jours, n'inaugurait que la moins intéressante partie de son titre. Il y a, en effet, des Mercures beaucoup plus anciens. Ce sont, il est vrai, pour la plupart, des publications passagères et spéciales, des brochures sans lendemain, mais ressemblant à un journal en ceci qu'elles avaient pour but d'annoncer rapidement et à un assez grand nombre de lecteurs une ou des nouvelles; d'autres, comme le Mercurius ou le Mercure français, ont une périodicité à peu près annuelle : ce sont de véritables revues politiques.
 Voici, à titre de curiosité, les Mercures qui précédèrent le Mercure galant (ceux qui le suivirent sont innombrables) :
 Mercurius gallo-belgicus, 1598-1638. — Mercure françois, 1611-1648. — Mercure d'Allemagne, 1619 et 1622. — Mercure et fidèle Messager de la Cour, 1622. — Mercure jésuite, 1630.— Mercure allemand, 1631-32.—Mercure ou Courrier céleste, 1632. — Mercure d'Estat (Paris). 1634. —Mercure suisse, 1634.— Mercure d'Estat (Genève), 1635. — Mercure espagnol, 1639.— Mercure de Compiègne, 1649. — Mercure parisien, 1649.— Mercure infernal, 1649. — Mercure de la Cour, 1652. — Mercure indien, 1667. — Mercurio postiglione di questo e l'altro mondo, 1667. — Mercure postillon de l'un et l'autre monde, 1667. (traduction du précédent).

R. G.


Échos divers et communications


 Au Cercle Saint-Simon, devant un auditoire de dames très enthousiastes et de messieurs très initiés, M. Alber Jhouney fit, dimanche 7 décembre, une conférence sur le Christ ésotérique. Par le moyen d'une forme qui ne saurait être suspectée de

banalité ou de prosaïsme, le jeune et brillant aède du mysticisme contemporain refait une virginité à de vieilles et sympathiques idées, qui charmèrent longtemps et charmeront toujours les doux optimistes épris de rêve, de sensibilité et d'idéal. Les antiques principes Trinitaires, qui se trouvent à la base de la plupart des religions, des métaphysiques et des franc-maçonneries, furent exposés, commentés et choyés par M. Jhouney avec toute la poésie et le lumineux vague qu'ils comportent. Ce qui semblait plus malaisé, c'était d'établir les rapports entre la personne de Jésus et cette Trinité transcendante. L'orateur s'en est tiré avec une conviction et une élégance d'images fort appréciées. L'effloraison de cette conférence chatoyante fut une éloquente évocation d'une humanité socialiste et chrétienne, sublimée par l'amour, la liberté, l'intelligence, trop belle évidemment pour qu'il soit loisible à d'autres qu'à d'idéalistes poètes d'en espérer une pareille.

L. D.


 La Bibliothèque Artistique et Littéraire, que dirige M. Léon Deschamps, publie le livre annoncé de notre collaborateur Ernest Raynaud : Les Cornes du Faune. Il est tiré de cet ouvrage 162 exemplaires, dont 12 sur Japon impérial a 20 fr., et 150 sur simili-Hollande à 3 fr. Chaque volume contient le portrait et la signature autographe de l'auteur. L'éloge n'est plus a faire de cette bibliothèque qui a édité Dédicaces (épuisé), de Paul Verlaine, A Winter night's dream (épuisé), de Gaston et Jules Couturat, et Albert, de Louis Dumur. Nous ne saurions trop insister sur ce point que jamais elle ne réimprime les ouvrages de sa collection, tirés à petit nombre et partant fort rares. Que ceux de nos lecteurs qui désirent posséder Les Cornes du Faune se hâtent donc de souscrire, car il n'est pas douteux que ce volume ne soit introuvable bientôt.
 Le 5 décembre, sous la présidence de Jean Dolent, l'auteur de tant délicates et fines choses d'un esprit qui ferait aimer les gens d'esprit (s'ils lui ressemblaient !) : Dîner des Têtes de Bois, chez Mousseau. — Présents : Odilon Redon ; — les peintres Eugène Carrière, Louis Mettling, Victor Marec, Coustantin Leroux ; — les poètes Charles Morice, Jean Moréas, Mathias Morhardt; — les sculpteurs A. Massoule, Gustave Déloye ; — Alidor Delzant, le graveur Henri Guérard, Jules de Marthold, le chansonnier Chebroux, Alfred Vallette. — Beaux vers, chansons drôles et... petit discours de M. Louis Mettling sur ce qu'il sied d'entendre par le mot : Art.
 Le portrait de Paul Verlaine, par Eugène Carrière, est visible le dimanche chez Jean Dolent (Villa Ottoz, 43, rue Piat, à Belleville).
 Nous signalons aux artistes en quête de pittoresque un intéressant journal illustré polonais, le Swiat (le Monde), bimensuel, paraissant à Cracovie, sous la direction de M. Sarnecki, écrivain de talent. Dans le dernier numéro, M. Edouard Loévy, le dessinateur bien connu des Parisiens, nous montre

des Paysans polonais sortant d'une kartchma (Débit d'eau-de-vie).
 En librairie prochainement : chez Savine : Vieux, par G.-Albert Aurier; chez Tresse et Stock: Le Vierge, par Alfred Vallette ; chez L. Genonceaux : Les Pharisiens, par Georges Darien, La Sanglants Ironie, par Mme Rachilde, avec une préface de Camille Lemonnier. Mme Rachilde termine en ce moment une pièce en 3 actes : Madame la Mort, drame cérébral, d'une conception très curieuse.
 Notre camarade Léon Riotor a puisé dans Comines et les chroniques du siège de Beauvais une suite de scènes lyriques sur Jeanne Hachette. On y retrouve les soldats de l'époque et tout le pittoresque de leurs costumes et de leurs armes, puis le cortège solennel tel qu'il a lieu chaque année à Beauvais, avec la châsse de Sainte Angadresme et l'étendard bourguignon capturé par Jeanne, reconstitué d'après les restes que conserve l'église Saint-Michel de Beauvais. — La musique, de M. Paul Dupin, élève de Gigout, comprend 26 numéros, dont un chant d'orgue. Les costumes et les armes ont été dessinés par M. Louis Bombled.
 Prochain spectacle du Théâtre d'Art : Les Cenci, de Shelley, traduction de M. Rabbe.
 Nos souhaits de bienvenue au Combat Littéraire, que dirige notre confrère M. Léon Roux.
 Étrange coïncidence :
  . . . . . . . . . . . . . Chrétienne,
  Ma générosité doit répondre à la tienne.
 (Henri de Bornier: La Fille de Roland, act. I, sc. IV)
  De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne,
  Ma générosité doit répondre à la tienne.
 (Corneille : Le Cid. act. III, sc. IV)
 M. Porquet, le libraire bien connu, a fait à la Comédie Française un don important : la collection du Mercure de France années 1749 à 1792, soit environ 500 volumes. Si M. Claretie désirait compléter...
 AVIS. — Il ne reste qu'un très petit nombre de collections du Mercure de France année 1890, et le prix (6 fr. le vol. broché, avec tables et couverture spéciale : envoi franco contre mandat-poste) en sera très certainement augmenté sous peu.


Mercvre.

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