Lettres de mon Ermitage

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Dom Junipérien, « Lettres de mon Ermitage », Mercure de France, t. III, n° 22, octobre 1891, p. 205-207


LETTRES DE MON ERMITAGE (1)
première a dom cucuphas
du tiers-ordre de l'amour solitaire


Sur le mode ternaire si
Plein de candeur et de merci,
Je vous épistole. Voici.


Fête-Dieu-pleine-de-relique !
Par la caboche de Jamblique
Je suis hûgrement catholique !


Laissant les fils de Bélial,
Pour un Port-Royal lilial,
Je hante le veau cordial


Et j'assume — avec quelles joies! —
La fréquentation des oies.
Ma foi rayonne dans leurs foies.


J'invoque pour le mal au cou,
Saint-Maclou couleur de roucou;
Saint-Mitrophane de Moscou,


Et j'éructe, d'après les rites,
Toutes les oraisons prescrites
Par quoi s'augmentent nos mérites.


« O beata Solitudo ! »
Ne plus remorquer ce fardeau,
Margot en quête d'un chaudeau;


Ne plus rencontrer chez Arsène
La congrégation malsaine
Des Ephestions de la Seine ;


Ignorer, quand elle opéra,
Le labeur de dire à Clara :
« Bell'alma que m'inamora ».


Et, loin des quais où la Tour darde
Sa conformation hagarde
De cathédrale pignouflarde,

Oublier quel puffiste los
Maurras, casuiste à Délos,
Prodigue aux Symbolopoulos!


Enfoncer des pointes égales
Dans son cul! Vivre plein de gales
Mystiques et théologales!


Fuir la table, ses agréments,
Et parfumer tous aliments
De petits morceaux d'excréments!


Supporter le nom d'Anatole
Baju! pour un quart de pistole,
Ceindre le cordon et l'étole:


Ainsi, dans les plaisirs dévots,
Sans lire de fableaux nouveaux,
Coulent nos soirs, auprès des veaux.

***


Les gens du monde, sur les plages,
Cèdent à maints pensers volages
Et gaspillent leurs pucelages.


D'Hendaye à Lock-Maria-Ker,
Tels messieurs d’un équivoque air (2)
Amènent des « fulls » au pocker.


Il en est, aux bords de la Manche,
Qui, sans nul respect du dimanche,
Font sortir le Roi de leur Manche.


D'aucuns, venus de Bourganeuf,
Pour s'acheter un complet neuf,
Comme des sourds abattent neuf.

Magicien aux sept balsames,
Le Péladoison chasseurs d'âmes
Tâte ma chair des vieilles dames.


Des gentlemen « tramés-coton »
Que sangle un inouï veston
Appliquent les lois du boston.


Cependant qu'aux jours de tuerie,
Monsieur Prud'homme se récrie,
Frascuelo! sur ta boucherie


Et qu'un très jeune Pédero,
Comme l'Alexis de Maro,
S'exerce à « toucher le taureau ».


***


Mais nous qu'un Lumignon éclaire
Et qui marchons avec Hilaire
Sur tes pas, Agneau Vexillaire,


Nous que la pudeur a conduits
Méprisant ces impurs déduits,
Employons saintement les nuits:


Mugissons la prose et l'antienne
Frère! Que la prière obtienne
Pour vous cette vertu chrétienne!


Et que, l'esprit réconforté,
Dom Cucuphas soit exalté
Dans la benoite éternité.


Son âme que l'Espoir désigne
Montrera la blancheur du cygne,
Les trois Vertus avec le Signe,


A l'heure où moqués des Vertus,
Quand les buccins se seront tus,
Cherront les pêcheurs abattus,


Et que, les enfants de Voltaire,
Dans l'enfer plein d'un noir mystère,
Subiront le thermo-cautère,


La broche et l'écumoire, hélas!
Des cuisiniers de Satanas.
Vale, mon frère Cucuphas.

Dom Junipérien.


 (1) Voir Mercure de France, août 1890 (n° 8).
 (2) Le R. P. Junipérien à qui n'échappe aucun effort des lettres contemporaines, s'est rappelé sans doute l'excellente fantaisie que MM. Charlice et Vignier publièrent dans la « Vie Parisienne », il y a quelque douze mois :
  Quand on veut jouer au pocker,
  Il faut attendre un sort précaire.
  Ça peut vous mener à Necker
  Ou à la Charité, pécaire!
  Quand on veut jouer au pocker
  Car à Paris, à Gap, au Caire,
  Des messieurs d'un équivoque air
  Ont tôt fait de vous pickpocker,
  Quand on veut jouer au pocker.



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