Madrigal. - Superbia

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Edouard Dubus, « Madrigal. - Superbia », Mercure de France, t. III, n° 24, décembre 1891, p. 341.


MADRIGAL


Ne vous souvient-il pas d'une existence exquise,
Au temps joli qui vit fleurir la Pompadour?
Lors, on vous saluait en soupirant: "Marquise !"
On m'honorait comme un très digne abbé de cour.


Vous me laissiez parfois, quand languissait le jour,
Vous prêcher, tout confit en l'onction requise,
Quelque homélie assez incandescente pour
Mettre la mer à sec et fondre la banquise.


Quand la mort nous plongea dans le Royaume noir,
Nous reprîmes si bien nos jeux, que, pour ce monde,
Pluto scandalisé nous fit repasser l'onde.


Désormais votre abbé, Marquise, attend le soir
Où, brûlant des beaux feux de naguère, il vous dise
Un madrigal au vieux parfum de mignardise.


SUPERBIA


Au seuil du Parc gemmé d'aurore printanière
Où, témoignage du Passé, gît la statue
D'un blême Éros tombé de hautaine manière,
La chanson qui riait dans nos rêves s'est tue.


Dès lors, plus savamment que l'ardente lanière
Qui, dans le poing crispé du bourreau, s'évertue
A n'accorder jamais la blessure dernière,
Chaque heure aux mains du Temps sur nous s'est abattue.


Nostalgiques bannis du pays des Chimères,
Mais revenus des soirs de rire ou d'élégie,
Nous détournons les yeux des fêtes éphémères,


Et notre solitaire exil se réfugie
Dans un palais brûlant d'une tragique flamme:
L'orgueil des souvenirs nous dévorent l'âme.

Édouard Dubus.



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