Muliebria Corda

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Jean Court, « Muliebria Corda », Mercure de France, t. I, n° 4, avril 1890, p. 128-129.


MULIEBRIA CORDA
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I. —L'Auberge


C'est un bouge suspect où de pâles buveurs
Vont s'attabler aux soirs de souffrance charnelle ;
C'est l'assommoir où sombrent toutes les ferveurs
Dans un rouge chahut d'obscènes ritournelles.

Les murs sont maculés du sang des cœurs blessés
Venus s'échouer là comme sur une grève,
Cœurs de Désespérés et cœurs de Délaissés
Contempteurs de l'amour et Renégats du rêve.

Le bouge hospitalier les reçoit tous, hélas !
Ces vagabonds que leur ennui d'être seuls navre,
Et qui sont résignés, quoique pourtant bien las,
Par la vie inutile en quête de leur hâvre.

— Mais parfois en ces lieux, par le vice requis,
Un hôte de hasard victorieux s'installe,
Et despotiquement, comme en pays conquis,
Épand une terreur de loyauté brutale.

Alors on clôt la porte ainsi que les auvents
Pour l'accomplissement de ténébreuses fêtes,
Jusqu'au jour où l'Auberge ouverte à tous les vents
Croule enfin sous les coups des dernières défaites.

II — Le Palais



À l'abri des pillards, derrière les remparts
Des bastillons qui lèvent haut de toutes parts
Leurs hourds et leurs créneaux, comme une forteresse
Et royal de splendeur, l'altier palais se dresse.

Maints seigneurs valeureux et maints aventuriers
Ont livré sous ses murs des combats meurtriers ;
Maint troubadour badin maître en gaye science
Sur le seuil a lassé l'art de sa patience…

Aux heurts d'appel les échos seuls ont répondu…
Et tous s'en sont allés, le cœur tout morfondu,
Sous le regard cruel du Sphinx énigmatique
Blasonné sur l'écu de gueules du Portique.

— Mais parfois le plumail d'un roide paladin
Qui vague à l'aventure au seul gré du destin
Surgit, au flamboiement d'un éclair de victoire,
Dans la clameur d'une fanfare évocatoire.

Et voici que soudain, aux sons de l'olifant,
Les murailles devant le seigneur triomphant
Croulent, et que, sans coup férir, le preux pénètre
Dans le palais altier qui n' attendait qu'un maître.



III. — Le Temple



Voici l'asile inviolé de chasteté ;
Le bon Ange gardien seul y dit des Prières,
Et le jour tapageur au filtre des verrières
Dépouille avant d'entrer toute brutalité.

Sur l'autel fastueux semé de lys, les cierges
Restent immaculés en leurs supports d'or fin,
Et, seuls, les doigts légers d'un furtif séraphin
Effleurent le clavier des orgues encor vierges.

Le Tabernacle est clos, l'Évangile est fermé !
Des fleurs sans nul parfum défaillent dans un vase,
Et du silence émane une languide extase
Qui flotte en attendant le Rêve inexhumé.

Mais l'heure va sonner du premier sacrifice
Qui troublera ce long repos conventuel.
L'Officiant élu suivant le rituel
Pour la Communion va lever le calice.

L'encens voluptueux dans l'encensoir fumant
Alors propagera des ferveurs inconnues,
Et les orgues enfin clameront jusqu'aux nues
Un Hosannah suprême éperdu vers l'Amant.



Jean Court.

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