Paysages

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Ernest Raynaud, « Paysages », Mercure de France, t. I, n° 6, juin 1890, p. 195.


PAYSAGES


À Alfred Vallette


I.— Le Bois

Le bois où flotte, au soir, comme une mousseline,
C'est, pour la sieste, plus de calme et plus de frais :
L'Âme des Isolés s'y délivre du spleen,
Et de ces noirs soupçons qu'ils ont qui les effraient.

J'y vais. Tout l'or du ciel s'égoutte des rameaux,
Dès l'orée, ah ! la joie immense qui m'accueille !
Pas un bruit, si ce n'est de source en les roseaux,
Ou, lorsqu'un oiseau se remue, un bruit de feuilles.

Je m'amuse d'une fleurette ou d'un brin d'herbe :
La rêverie est la glaneuse dont la gerbe
Se fait des mille riens tombés de l'infini.

Et — par l'effet discret du soir ! — dans le granit
De mon cœur soudain s'ouvre une source ingénue
Comme cette autre où se reflète un coin de nue !

II.— La Fontaine.

Sous une voûte, comme aménagée exprès,
De feuillages, loin ! son murmure la dénonce ;
Elle s'épanouit dans un cadre de ronces,
Et c'est, autour, comme de l'or qui friserait.

D'un masque de sylvain hilare, qui se fronce,
L'eau jaillit ! pour s'épandre à foison dans le grès,
Si claire, que l'on voit jusqu'où le grès s'enfonce,
D'or rose, et que le fond des graviers transparait.

L'argent n'a pas le flamboiement de cette eau pure
Où le feuillage met l'ombre de sa guipure ;
Tout le bois semble illuminé de ce cristal.

Séjour blond (si non des Hespérides !) d'Armide,
Où c'est de mille oiseaux quels adorables lieds !
Dès l'heure où la rosée attendrit les pétales !

Ernest Raynaud.


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