Poèmes d’Automne

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Adrien Remacle, « Poèmes d’Automne », Mercure de France, t. III, n° 24, décembre 1891, p. 342-343


POÈMES D'AUTOMNE

Wann wild es Ruhe im Haus?
R. Wagner (Tristan)

I
RAPPELS NOCTURNES


 Comme une larme aiguë, une larme de l'infini, la Lune tombe, tombe du ciel, lente, indiscontinuement. Le rayon de sang pâle qu'elle pleure dans le fleuve, entre les hauts feuillages d'ombre des mystérieuses rives, s'éteindra pour renaître ainsi que toutes choses terrestres.
 Douleur sans fin des Cieux... Oh! quelle douleur, quelle douleur pleurez-vous, hauts Inconnus, par vos si belles larmes errantes? Il me semble, en des nuits, me souvenir de ces douleurs-là qui auraient été miennes, elles par où je sens que j'ai fait autrefois partie d'une enfance si grande!
 Et voici que de Vénus aussi se reflète sur l'eau la mouillure voilée et vacillante d'une larme, sœur des humbles miennes. Je sens mon cœur gonflé par la fuyante espérance de retrouver les souvenirs perdus. O mes Patries, mes belles Patries! me laisserez-vous traîner encore longtemps, misérable, sur les chemins obscurs des souvenirs!...

II
LE POÈME DES VENTS


 — Écoute? Je vais te narrer l'histoire d'un preux chevalier qui ...
 — Non, laisse-moi:.. Ne veuille point que j'écoute: j'aime mieux regarder les arbres qui s'agitent au vent accouru des tempêtes lointaines...
 — Écoute? et tu sauras l'histoire des amours de la blonde Astine et...
 — Non, je t'en prie: je préfère ouïr le chutement du vent qui blanchit les feuilles des bouleaux et anime les cimes rondes et somptueuses des hêtres...
 — Oh écoute! Je te remémorerai ce que ton âme a souffert dans l'isolement des tendresses, et les larmes voluptueuses que...
 — Oh non, je t'en supplie! Il me plaît davantage que mes yeux errent aux puissants balancements des chênes ancêtres, et que mon âme s'épeure parmi les chevelures soudainement bouleversées des larges et fragiles acacias...
 — O toi, qui veux tressaillir, écoute le beau poème surhumain de l'Inconnu, le sublime poème où...
 — Oh par pitié, tais-toi! et me permets de me perdre dans l'infini des vivantes feuillées frissonnantes des vies du temps, éveillées au souvenir des ouragans éloignés...
 — Mais ces choses que tu dis, que tu veux, ne sont-elles pas des poèmes ?
 — Peut-être ; je ne sais pas... Je veux ignorer si la forêt est poème et le vent aède. Laisse-moi, me croyant seul, loin des poèmes conscients, me baigner dans les nuances innombrables de la forêt tremblante, de la forêt... de la forêt.....

III
ANGOISSE SUPRÊME


 J'implore l'oubli! J'implore l'oubli!
 O Éveils du vent dans les feuillées, ne me rappelez rien! O Mer, ne bruissez pas des souvenirs angoissants! O vous, arômes, ne suscitez pas les spectres vagues et inquiétants de mes Passés ! Lune jaune-soufre au ciel gris-bleu, que votre morne et immobile silence, brouillé d'autrefois, ne me parle pas!
 J'implore l'oubli! Oh! Si j'allais resavoir le passé!
 En arrière, le gouffre noir s'emplit d'un clapotement d'anciennes larmes qui mentent: Oh! Si leur source avait été mes yeux!
 J'implore l'oubli! Oh! il me semble en mon cœur la secousse d'anciens sanglots...
 Une longue route assoiffée, peut-être, j'aurais marché, râlant, les pieds saignants, la tête en fièvre, le cœur en feu, sous le fouet des inexpiables désirs, et je verrais se dérouler au loin des avant cette route blanche à l'ardeur du ciel embrasé, cette route des avant présage des ensuite, peut-être...
 Oh! j'implore l'oubli! j'implore l'oubli! Exorable Seigneur, écartez de moi le fiel du Savoir, laissez mes lèvres s'approcher au moins des fadeurs du doute!...
  Ploumanach, octobre 1891

Adrien Remacle.



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