Priére

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Louis Denise, « Prière », Mercure de France, t. II, n° 13, janvier 1891, p. 17


PRIÈRE

A Albert Samain.


Seigneur! conservez-moi mon chagrin vénérable!
Que mon chaste dédain soit fort comme un érable!


Conservez-moi, Seigneur! mes ténèbres, afin
Que mon désir oublie à jamais qu'il eut faim !


La joie est le gluau misérable où s'attache
L'aile blanche de nos virginités sans tache.


Mais la souffrance est le sol fécond où tu crois,
Fleur de mystique amour, loin des tièdes effrois.


Et c'est pourquoi, Seigneur! j'ai fait de ma tristesse,
Lourd tissu de mes deuils, une tenture épaisse


Où mon culte s'isole, avec la volupté
Du chien qui voit marcher son maître à son côté.


Je suis le chien boueux qui hurle dans la cave
Où la mort a tendu son ombre froide et grave.


Seigneur! purifiez mes sens dans le sommeil!
Le mal prend conscience aux gaîtés du soleil!


Et mes yeux de scandale ont scellé leurs paupières,
De peur qu'un rayon dur ne heurte les prières.


La cendre de douleur couvre mon front penché.
Devant le spectre blême et louche du Péché


L'espérance d'en bas, honteuse, se retire,
Et, parfum douloureux de mon âme martyre,


Comme un murmure lent sort d'un buisson geigneur,
Mon extatique ennui monte vers vous, Seigneur !

Louis Denise

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