Repose, Douleur, - Rapsodie des larmes

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T[ola] D[orian], « Repose, Douleur, – Rapsodie des larmes », Mercure de France, t. V, n° 30, juin 1892, p. 133-134


REPOSE, DOULEUR


Poète, prends la sombre scabieuse,
La brune échevelée au doux parfum qui mord,
Fleur de deuil, fleur de veuve, fleur ombreuse,
Sur ton sein profond comme la Mer ou la Mort...


Dis-moi de quelles nostalgies-névroses,
Langueurs, satiétés, funéraires débris,
Parfums perdus, effondrement de choses,
Est faite sa corolle aux replis assombris ?


De quel tissu, de quelle étrange trame
Est sa robe de serge, de pourpre et de feu ?
De noirs lambeaux arrachés à quelle âme....
Ou d'un loup de velours... taché de sang un peu ?


Quelle est l'haleine énervante, navrée,
Lourde de lassitude et de subtils relents
Comme un vin vieux, qu'exhale, vulnérée,
Sa patiente ardeur sous tes souffles brûlants ?...


Comme un grenat son cœur sombre en lui porte
(Rouge tison couvant un feu cruel)
Une larme où survit une tristesse morte,
Virtuelle lueur d'un éclair éternel....


Toi qui sais, qui vois, qui chantes... Poète !
Révèle les vouloirs secrets de cette fleur
Voluptueuse, ténébreuse, si parfaite
Dans les empourprements de sa noirceur.
RAPSODIE DES LARMES


Sang de l'âme blessée, ô larmes, vaines larmes,
Amer et doux torrent, coulez du haut séjour
Où réside la source intime des alarmes :
Les longs désirs des nuits, les longs regrets du jour !
Tombez, abreuvez-nous, larmes, vivantes larmes,
Des mystiques douleurs de l'Amour.


Ce n'est pas dans mon corps que mon âme palpite....
Elle est entre ses mains, sur ses lèvres, ses yeux...
Et mon cœur dans le sien bat plus fort et plus vite
Comme une roue ardente autour de ses essieux
Ma vie est entraînée et gravite !


Ah bien-aimé ! sans fin, amèrement aimé,
La chair doit endurer que l'âme la déchire ;
Jamais ce que l'amour a vainement semé,
Ne moissonne l'Espoir sur les champs du délire....
Le bonheur est toujours affamé !


Et loin de toi ma vie est la déserte image,
Le simulacre obscur de ma mortalité :
Ce qui reste de moi n'est qu'une vide cage
D'où s'est enfui l'oiseau par l'orage emporté....
Mais.... laissant aux barreaux son plumage....


Tels, tissés de soleil soyeux dans un coffret,
Contemple ces cheveux morts d'une tête morte....
Semblance formidable !... Ironie !... On dirait
Que cette pauvre tresse est plus divine et forte
Que l'être que son flot d'or paraît !


Tombez, abreuvez-nous, larmes, ô claires larmes,
Pluie.... écumes.... rosée.... à l'envi, tour à tour ;
Dans votre sel brûlant nous retrempons nos armes
Pour l'attente des nuits et les refus du jour...
Pleurs de glace ou de feu.... coulez, stériles larmes....
Faites-nous pardonner à l'Amour.


Tola Dorian


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