Rhythmes d’Automne

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A.-Ferdinand Herold, « Rhythmes d’Automne », Mercure de France, t. III, n° 24, décembre 1891, p. 326-327


RHYTHMES D'AUTOMNE


A Henri de Régnier.


Voici la danse des feuilles dans les allées ;
Elle emporte l'espoir fleuri des mais nouveaux
Et des rhythmes de mort descendent les vallées.


Le vent automnal balance les grands pavots
Qui penchent tristement l'orgueil de leurs corolles ;
L'hiver attelle ses mystérieux chevaux.


Impassibles et froids ainsi que des idoles,
Le poitrail hérissé de neige et de glaçons,
Ils passeront avec de blanches auréoles.


Ils entraînent, loin de la joie et des chansons,
Vers les palais où pleurent les anciennes gloires
Parmi le souvenir des défuntes moissons.


Ils entraînent vers les grottes mornes et noires
Où s'alanguissent les roses et les lilas,
Fleurs maigres dont l'ennui décolore les moires.


Monotone, le vent sonne toujours le glas
Des matins lumineux et des nuits étoilées
Et fait tournoyer, sans jamais en être las,


La danse des feuilles mortes dans les allées.



Le ruisseau court parmi des brumes violettes.


Dans les brumes, on dirait qu'il y a des ombres :
Ce sont des jeunes filles blanches et blondes
Avec des yeux bleus et des chevelures longues
Et des couronnes de violettes.


Oh, ce sont Elles :
Ce sont les Fées qui régnèrent autrefois,
Les Souveraines radieuses dont la voix
Guidait les Chevaliers vers la Forêt immortelle.


Maintenant, les voici comme mortes ;
Mélancoliques, elles dansent dans la brume,
Parmi les aulnes et les roseaux  ;
Elles dansent lentes et taciturnes.


Et c'est le chœur des tristes Fées qui sanglote
Près de l'automne du ruisseau.



Dans le soir passe comme de l'oubli.


Aux branches frileuses des arbres,
Il y avait de claires gemmes ;
Voici maintenant que les gemmes
Tombent, pareilles à des larmes.


Dans le soir passent comme des âmes tristes.


Par le ciel calmé souriaient
Des vierges aux voiles d'azur ;
Des pleureuses en chappes grises
Qui murmurent des chants mauvais
Hantent, seules le soir obscur.


Dans le soir passe comme de la mort.



C'est la pluie,
C'est la langueur lente des soirs d'automne,
Ce sont des heures vagues qui sonnent
Comme un écho d'anciennes vies.


Et voici les belles mortes ;
Elles arrivent en un cortège
Long et morne,
D'où ? De loin, de là-bas...
Des épines ont déchiré leurs robes,
Et parmi leurs cheveux, blonds ou bruns, luit de la neige,
Ça et là...


Oh, vous passiez jadis en des robes dorées
Et des gemmes et des étoiles vous coiffaient,
Et tout riait quand vous surgissiez à l'orée
Des bois, où la chanson des oiseaux triomphait.


Et maintenant, vous repassez
Pâles et la joue amaigrie ;
L'orgueil de vos fronts s'est abaissé
Et la douleur des chemins vous a flétries.


Et vos yeux, vos yeux ternis pleurent,
Tandis que, tristement, s'envolent les heures.

A.-Ferdinand Herold.


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