Soir. Promenade à l’Etang. Sonnet

De MercureWiki.
 
Albert Samain, « Soir. Promenade à l’Etang. Sonnet  », Mercure de France, t. VI, n° 34, octobre 1892, p. 212-213.


SOIR


Le Séraphin des soirs passe le long des fleurs...
La Dame-aux-Songes chante à l'orgue de l'église;
Et le ciel, où la fin du jour se subtilise,
Prolonge une agonie exquise de couleurs.

Le Séraphin des soirs passe le long des cœurs...
Les vierges au balcon boivent l'amour des brises,
Et sur les fleurs et sur les vierges indécises
II neige lentement d'adorables pâleurs.

Toute rose au jardin s'incline lente et lasse;
Et l'âme de Schumann, errante par l'espace,
Semble dire une peine impossible à guérir:

Quelque part une enfant très douce doit mourir...
O mon âme, mets un signet au livre d'heures:
L'ange va recueillir le rêve que tu pleures.

PROMENADE A L'ÉTANG


Le calme des jardins profonds s'idéalise;
L'âme du soir s'annonce à la tour de l'église.
Ecoute, l'heure est bleue et le ciel s'angélise.

Sous l'ineffable flot de l'azur étendu,
Dirait-on pas, ma sœur, qu'un grand cœur éperdu
En longs ruisseaux d'amour, là-haut, s'est répandu?

L'ombre lente a noyé la vallée indistincte;
La cloche au loin, note par note, s'est éteinte,
Emportant comme l'âme frêle d'une sainte.

L'heure est à nous ; voici que, d'instant en instant,
Sur les bois violets au mystère invitant
Le grand manteau de la solitude s'étend.

L'étang moiré d'argent sous la ramure brune,
Comme un cœur affligé que le jour importune,
Rêve à l'ascension suave de la lune.

Je veux, enveloppé de tes yeux caressants,
Je veux cueillir parmi les roseaux frémissants
La grise fleur des crépuscules pâlissants.

Je veux, au bord de l'eau pensive, ô Bien-Aimée,
A ta lèvre de soir et d'ombre parfumée
Boire un peu de ton âme à tout soleil fermée.

Les ténèbres sont comme un lourd tapis soyeux
Où, dans un grand enchantement silencieux,
Je ne vois plus que la tendresse de tes yeux.

Comme pour saluer les étoiles premières,
Nos voix de confidence au calme des clairières
Montent, pures dans l'ombre, ainsi que des prières,

Et je baise ta chair angélique aux paupières.

SONNET


Des soirs fiévreux et forts comme une venaison,
Mon âme traîne en soi l'ennui d'un vieil Hérode,
Et, prostrée aux coussins où son mal la taraude,
Trouve à toute pensée un goût de trahison.

Pour fuir le désespoir qui souffre à l'horizon,
Elle appelle la sombre danseuse qui rôde;
Et Salomé vient dans la salle basse et chaude
Secouer le péché touffu de sa toison.

Elle danse... Oh! pendant qu'avec l'éclat des pierres
Au soleil, tes deux yeux brûlent dans leurs paupières,
Mon âme, entends-tu pas bêler dans le verger?

Tu le sais bien, pourtant, quel enfer te l'amène,
Et qu'elle va, ce soir, réclamer pour sa haine
L'Agneau blanc de ton pauvre cœur pour l'égorger.

Albert Samain.



Outils personnels