Une Lettre octobre 1892

De MercureWiki.
 
Henry de Groux, « Une Lettre », Mercure de France, t. VI, n° 34, octobre 1892, p. 97-99.


UNE LETTRE

Paris, 4 septembre 1892.

Mon cher Monsieur Vallette!


 Vous me fîtes jadis l'honneur de publier dans le Mercure de France — où mon nom a encore été cité maintes fois depuis lors — une très noble et très généreuse étude de Monsieur G.-A. Aurier sur les quelques œuvres que j'exposai pour la première fois à Paris.
 C'est ce dont je me réclame aujourd'hui pour vous demander exceptionnellement la faveur de répondre par quelques indispensables remarques à un article de Monsieur William Ritter sur mon grand ami Léon Bloy.
 Ne croyez nullement que j'aie l'intention de relever les jugements littéraires portés sur le génial écrivain dans votre revue. — C'est un rôle que peut seul ambitionner un littérateur et qu'il serait plus que présomptueux de la part d'un pauvre peintre de vouloir assumer.
 Monsieur Ritter lui-même ne fait-il pas précéder chacune de ses appréciations d'un préalable et assez inutile aveu de sa « totale incompréhension »?...
 Il devient donc tout à fait puéril de la part de n'importe qui, n'est-ce pas ? d'entreprendre cette tâche ingrate.
 Mais il y a ceci.
 A l'époque où Monsieur William Ritter reçut de Léon Bloy l'accueil aimable dont il ne profite que pour divulguer je ne sais quelle « atroce misère »! et quel « croupissement" (!!!) (imaginaire, hélas!}, j'étais le familier et le commensal de Léon Bloy depuis plus d'un an.
 Je me plais même à vous avouer, puisque la joyeuse occasion s'en présente, que c'est grâce, exclusivement, an séjour charmant et réconfortant que je trouvai auprès de lui et parmi les siens que je dois la santé dont je jouis à l'heure actuelle, au grand étonnement de mes innombrables amis, — soit dit sans offenser personne!
 Je ne puis donc me défendre d'une indignation profonde et d'un grand étonnement, en constatant que Monsieur Ritter — sous prétexte de critique littéraire ! — vient aujourd'hui, au mépris du plus élémentaire respect humain et de toute vérité, accréditer la sotte et fausse légende qu'il nous donne dans le Mercure.
 Non ! Mille fois non ! Léon Bloy n'a jamais été, ainsi que Monsieur Ritter a l'impudence de le dire, un « fousublime » (!) autour duquel les touristes de la littérature suisse ou autre peuvent à leur gré venir « tourner » dans sa propre maison, et il n'a que faire de leur « admiration » obtuse et de leur injurieuse « compassion ».
 Il n'attend pas « qu'une cause veuille de lui », et, quoi qu'en pense encore Monsieur Ritter, il n'est nullement en « disponibilité », ce « héros »!...
 S'il se réfugie volontairement dans la plus farouche solitude, c'est pont en faire l'intimité pins délicieuse et la rendre impénétrable au mufle ambiant ou au cynisme des reporters. Plein du plus absolu mépris pour toute popularité — que la plupart de ses ennemis ne doivent qu'à la prostitution de leur cœur et de leur esprit — il y travaille à de hautes et glorieuses œuvres auxquelles il a depuis longtemps consacré sa vaillante vie. Monsieur Ritter nous apprend que Léon Bloy n'a aucune « mission »! S'il osait dire cela de Dubrujeaud ou de lui-même, par exemple, je trouverais encore cette arbitraire opinion de la plus effrayante témérité!
 Qu'il soit du moins bien certain que les amis de Léon Bloy et lui-même ne méprisent rien plus que les outrecuidants imbéciles qui s'avisent de lui donner des conseils (entre autre celui d'écrire pour « les jeunes filles », fussent-elles « nobles » !), après lui avoir donné le spectacle écœurant de la plus inepte et de la plus révoltante trahison dès qu'ils sont sortis de chez lui !...
 Le plus d'écho que vous pourriez donner, mon cher Monsieur Vallette, à cette protestation que je considère comme un devoir personnel, je vous le revaudrais en amitié et en reconnaissance très profonde.
 Votre dévoué,

Henry de Groux.

15, avenue Frochot.


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