Une lettre inédite d'Eugène Delacroix

De MercureWiki.
 
Remy de Gourmont, « Une lettre inédite d'Eugène Delacroix », Mercure de France, t. III, n° 20, août 1891, p. 73-74.


une lettre inédite

D' EUGÈNE DELACROIX


 Le Samedi 10 janvier 1857, au second tour de scrutin, par 22 voix sur 38, Eugène Delacroix fut nommé membre de l'Institut en remplacement de Paul Delaroche, mort le 4 novembre précédent. La lettre inédite que nous publions se rapporte à cette période et on peut en fixer la date ; elle fut certainement écrite le jeudi 8 janvier 1857. L'Artiste se rendit à la prière du catéchumène ; les polémiques furent suspendues ; il parut une simple note annonçant l'élection et ajoutant : « Parmi les candidats, on cite MM. Delacroix, Hesse, Lehmann, etc. » Déjà, le 6 décembre 1856, Delacroix avait écrit à Soulier : « A la vérité, je me suis porté pour être académicien ; mais il y a si longtemps que j'ai eu cette envie-là, que je commence à être blasé sur l'espoir ou la crainte à cet endroit. Malgré une certaine rancune persévérante, on me dit que j'ai plus de chances cette fois. Dieu le veuille! » Et après l'élection, il confie à M. Pérignon (21 janvier) : « Cette élection n'est pas plus mauvaise pour venir plus tard : la difficulté de l'obtenir en augmente pour moi la valeur. » Un peu plus tard, à M. *** : « Cela a rassuré bon nombre d'admirateurs... Il fallait l'étiquette. » L' Artiste, qui avait consenti à se taire avant, dut parler après. Il y eut dans le numéro du 18 janvier un article de Théophile Gautier ; sans enthousiasme, et avec un lyrisme qui ne sort pas du cœur, il se félicite du résultat : « L'idée romantique pénètre avec lui, enseignes déployées et tambours battants, dans la vieille citadelle classique ; le burg inaccessible a levé sa herse et laissé entrer le preux chevalier dans son harnais de guerre, que tant de horions n'ont pas faussé, etc. » En somme, Théophile Gautier cherche à éteindre sous un cliquetis de mots le bruit d'une défection qui ne fut même pas utile, puisque, comme Delacroix le constate lui-même, son influence à l'Académie se réduisit à presque rien. Cette lettre et le rappel de ces incidents peuvent servir du moins à montrer à M. Zola que l'on est toujours précédé par quelqu'un sur le chemin des reniements. Que c'est peu de chose, l'Institut, dans la vie d'un homme de génie ! Dans la vie de M. Zola, cela pourra compter,

R. G.



Eugène Delacroix a Clésinger


« Ce jeudi.

 Cher Monsieur, j'ai bien du regret de n'avoir été rentré assez à temps pour vous voir. J'accepte avec beaucoup de plaisir l'aimable partie que vous m'offrez avec vous et les convives dont vous me parlez. Je me presse de vous répondre pour vous demander de faire en sorte, si vous le pouvez, que M. Houssaye ne parle pas du tout dans l'Artiste de l'élection de l'Institut, ou que ce ne soit que de manière à ne point blesser les gens auxquels je vais demander leurs suffrages. Il est arrivé presque toujours, malheureusement, qu'à mon occasion on les a fort maltraités. Vous concevez comment dans cette occasion il est important pour moi que rien de semblable n'ait lieu. Au reste, je crois déjà m'apercevoir que beaucoup de mésintelligences dans ce genre-là commencent à s'aplanir. Soyez donc assez bon pour écrire un mot dans ce sens à M. Houssaye, je tâcherai de mon côté de le voir. Le numéro prochain doit paraître après-demain ; vous voyez qu'il n'y a pas de temps à perdre, s'il y a quelque chose à changer.
 A mardi donc, mon cher ami, et mille amitiés et admirations,

Eugène Delacroix. »

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