Les Livres juin 1892

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Mercvre, « Les Livres », Mercure de France, t. V, n° 30, juin 1892, p. 173-181



LES LIVRES (1)



 Tel qu'en songe, par Henri de Régnier (Libraire de l'Art Indépendant). — V. présente livraison, page 139.
 Un Hollandais à Paris en 1891, Sensations de Littérature et d'Art, par W. G. C. Byvanck : Préface d'Anatole France (Perrin et Cie). — V. présente livraison, page 162.
 Dames de Volupté, par Camille Lemonnier (Savine). — A l'aide de subtiles essences mêlées de caustiques violents, comme si des épingles rougies au feu cherchaient à fixer sur votre peau de rares parfums, le style de Camille Lemonnier vous supplicie délicieusement ; mais combien cher, cette fois, est le tourment gagné à dévêtir ces Dames de Volupté de leurs lourds vêtements gemmés pour trouver, sous le somptueux artifice, des parures byzantines de carnations fraîches comme le marbre et aussi indestructible que lui!... Quel ravissement transporte le lecteur qui arrive à pénétrer dans les arcanes sombres et troublantes de cet indomptable sorcier de la phraséologie belge-française! Ah! qu'il serait mal venu celui qui, après cette lecture captivante entre toutes, reprocherait au maître ses orfèvreries, presque puériles, tant il les montre insoucieusement. L'auteur de Dames de Volupté semble avoir pris pour devise le toujours plus loin des penseurs infernaux mordus par la glorieuse Chimère de l'Absolu. il veut la pierre grammatico-philosophale, il l'a, et rien ne me paraîtrait plus ridicule que de lui contester le droit au mot précieux, au mot qui est l'opale changeant avec l'heure ou la saison. Ce serait un peu le bourgeois reprochant au gentilhomme de ne pas s'appeler Durand.
 Il faut lire attentivement le morceau intitulé : Esthétique, qui clôture le nouveau livre, pour saisir l'auteur penché sur son creuset : « J'ai fait de mon esprit une maison dont les  fenêtres s'ouvrent sur des couchants de pourpres et de métaux, dont les fenêtres s'ouvrent aussi sur de mols clairs de lune ... » « jJe suis chez moi partout où s'éveille une sensation d'inconnu, partout où me réclame un peu de mystère. » Il faut lire les Trois Rois pour se bien convaincre que trop de sciences n'est nullement un obstacle à l'ingénuité, à la grâce des Primitifs, et enfin il faut s'extasier devant l'audace du Bonheur dans le désir, afin de posséder la vision entière de ce cerveau princier qui ne recule pas à tenter la folie, si cette outrance psychologique lui donne et peut communiquer à d'autres la sensation d'au-delà qu'il veut obtenir à tout prix. Camille Lemonnier, sans doute, est dur au pauvre monde des lecteurs prudes et gobeurs qui prennent le roman feuilleton pour un livre ; en revanche, il saura toujours nourrir les jeunes écrivains affamés de la moelle des lions! Mais sa plus pure gloire est encore, à mes humbles yeux, d'avoir brisé victorieusement les chaînes de fer du redoutable naturaliste, et d'avoir affranchi à jamais sa plume aventureuse du grossier terre à terre.

***

 Les Chansons naïves, par Paul Gérardy (des presses de Floréal).
  A la façon de Henri Heine
  Je dis des chansons tristes et douces ;
et M. Paul Gérardy ne s'est pas mépris sur soi-même. La confidence qui lui échappe aux premières lignes de son livre est précieuse à retenir : rien ne vaut l'auto-critique sincère. Le caractère directement germanique de son talent lui aliénerait, je le crains, les sympathies des lyriques romans : mais les simples poètes ne pourront point ne pas l'aimer, fissent-ils même quelques réserves. Celle-ci par exemple : l'unité d'impression produite par ces courts poèmes ne va pas sans un peu de monotonie, et l'art total serait de sembler simple avec beaucoup de complexité ; ainsi, dans Heine même, nous préférerons toujours l'Intermezzo aux Junge Leiden où l'ironie ne s'ajoute pas encore aux poignantes douleurs. Mais pour devenir tout à fait l'excellent poète qui s'annonce dans Les Chansons naïves, M. Paul Gérardy n'aura qu'à écouter le bon conseil qu'il donne en ces vers de délicate mélancolie :
  Si vous connaissez les douleurs
  Enfermer les douleurs encor,
  Et dans votre cœur triste à mort
  Goûtez tout seul la joie des pleurs.

  Rêvez vos rêves doucement
  Et laissez les choses aller,
  Et laissez vos larmes couler
  Pour être heureux infiniment.

P.Q.

 Dominical, par Max Elskamp Anvers, Buschmann) — Il y a, dans les vers de M. Elskamp, un louable effort vers le simple et le subtil, à la fois ; mais il nous semble que l'auteur n'est pas maître de son talent, et trop souvent nous ne voyons dans ses poèmes que des intentions. Toutefois un tel livre n'est pas sans promesses, et il ne nous étonnerait pas de voir M. Elskamp devenir un agréable rythmeur de lieder mélancoliques.

A. F. H.

 Les Septs Sages et la jeunesse contemporaine, par Julien Leclercq (A. L. Charles). — L'influence de malfaiteurs publics comme M. Jules Simon et quelques autres compagnons du Devoir s'exerce déjà, à leur insu peut-être, sur des jeunes gens que leurs actes antérieurs ne semblaient pas réserver à un aussi triste destin. Voici, par exemple, M. Julien Leclercq qui promettait d'être un tendre poète, mélancolique et sentimental, et qui prêche à son tour sa petite croisade particulière : je dis sa croisade et non la croisade, parce que chacun des apôtres nouveaux prétend à une entière indépendance et excommunie volontiers les fidèles de l'église voisine. Ernest Renan, Hyppolyte Taine, Gustave Flaubert, Leconte de Lisle, Charles Baudelaire, Stendhal, Edmond de Goncourt ont eu sur la génération née de 1860 à 1870 la plus détestable influence : ils sont, par antiphrase, les sept sages qui nous ont enseigné la négation, le scepticisme, le mépris de la vie ; par leur faute, les jeunes littérateurs manquent généralement de délicatesse et de loyauté et composent un assez triste ramas de forbans. M. Julien Leclercq affirme au contraire que « nous ne devons avoir d'autre philosophie que celle que porte en lui tout homme en naissant », et que pour sa part, il ne veut pas dire de choses originales ; puis il s'écrie : « Aimons! » et fait aussi remarquer qu'il « vaut mieux » ne pas être un bandit, un proxénète, un louche ambitieux. Quant au résultat de cette régénération qu'il annonce, il faut attendre : « Nous dénions à quiconque écrit-il, le droit de nous juger avant cinq ou six ans ; car nous comptons refaire une jeunesse vivante. » Encore qu'une pareille défense puisse embarrasser la critique qui ne se croit point le don de prophétie, je ferai observer à M. Julien Leclercq que la corrélation entre ses deux thèses n'est pas tout à fait certaine, et que la chanson de Gavroche :
  Il est tombé par terre,
  C'est la faute à Voltaire!
  Le nez dans le ruisseau,
  C'est la faute à Rousseau!
indiquerait assez plaisamment le vieux paralogisme où il s'est laissé entraîner. Au moins faudrait-il que ces thèses fussent solidement établies : l'une d'elles, celle qui a trait à l'intense canaillerie de nos contemporains, est le résultat de l'observation ; mais je crains que l'auteur n'ait généralisé un peu hâtivement et je connais nombre de galants hommes parmi les plus forcenés négateurs; tandis que pour choisir des exemples illustres, Musset, non content d'être un assez mauvais poète, se conduisit comme un fort vilain sire, et le doux Brizeux selon des souvenirs autorisés, battait sa mère plusieurs fois par semaine. Il y a bien le cas de M. Maurice Barrès, qui est traité ici avec une sauvage dureté pour des peccadilles électorales (encore y avait-il quelque élégance à faire passer l'Homme libre et Sous l'oeil des barbares pour des romans patriotiques, et ce mensonge était-il beaucoup plus véniel que les neuf dixièmes des professions de foi signées par d'« honnêtes gens ») et aussi parce qu'il a eu le courage et l'humilité d'avouer ce que d'autres cachent obstinément : à savoir qu'en sa qualité d'homme, il n'était point parfait. Cette sincérité vaut mieux que l'insupportable arrogance de la vertu. On ne saurait faire d'ailleurs que M. Barrès n'ait beaucoup de talent, et nous ne pouvons rien demander de plus à un écrivain. C'est la dernière des qualités dont se soucie M. Julien Leclercq, pour les autres s'entend ; car il expose non sans verve des idées malheureusement assez peu nouvelles, familières à tous les théoriciens du sens commun (qu'il ne faut pas confondre avec le bon sens) et à toutes les âmes bourgeoises qui demandent avant tout aux poètes d'« avoir du cœur » : c'est l'esthétique si heureusement résumée par M. Scribe dans un vers célèbre :
  Le vin (bis), l'amour et le tabac!
Il n'est pas probable que les mécréants, dont je suis se convertissent sur l'heure ; ils demeureront plutôt avec les négateurs d'hier et de tous les temps et , s'outrecuidant peut- être sur leur propre mérite, penseront ainsi communier davantage avec la souffrance humaine que s'ils admiraient, en optimistes, l’œuvre peu satisfaisante des six journées.

P.Q.

 Arte aristocratica, par Vittorio Pica (Naples, Luigi Pierro.) — Nous avons déjà, d'après le Don Marzio, analysé cette conférence que donna M. Pica, le 1 avril dernier, au Cercle Philologique de Naples. Elle nous revient aujourd'hui, en une typographie merveilleusement nette et en le format étrange d'un étroit agenda de poche. Ces trop brèves pages sont un complet et fort juste résumé de l'actuelle histoire littéraire, qui nous fera prendre patience jusqu'à 1'apparition des Modernes Byzantins.

R. G.

 {Chères amours par Achille Maffre De Baugé Savine). — Ecrit dans un style de sport, de cape et d'épée, fort élégant et très tolérable en dépit de l'heure actuelle, ce livre est un incendie de cœur bien extraordinaire. L'auteur, que je me représente la plume au feutre et le manteau drapé à la castillane, se déclare le fervent de toutes les névroses de l'éternel féminin : caprice ou trahison, friperie du temps de Ponson du Terrail et vices à la Bourget, tout lui parait matière à effeuiller des roses. Il y a un moment béni durant lequel un prêtre tient le héros du drame suspendu (avec le lecteur) au-dessus d'un précipice et à la lueur des éclairs... et puis c'est très bien. Décidément une place est à prendre entre le naturalisme et le symbolisme, celle du héros suspendu : tombera-t-il? ne tombera-t-il pas ? D'ailleurs qui est-ce qui nous prouve qu'Alexandre Dumas n'est pas le premier des idéalistes mystiques? Votons une plume d honneur frisée au second, M. Achille Maffre de Baugé.

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 Théâtre contemporain (1870-1884), par J. Barbey D'Aurevilly (Tresse et Stock). – Une trentaine d'articles ramassés dans les hebdomadaires d'il y a vingt ans; cela pue la vieille friperie cabotine, le feuilleton bâclé, la copie et le tirage à la ligne; et c'est toujours la même plaisanterie des œuvres posthumes, exhumant de la poussière, pour le petit négoce d'un éditeur, des choses écrites au jour le jour et que l'auteur vivant n'eût point tirées de ses cartons. – Il y a cependant quelques pages où l'on retrouve le terrible batailleur et l'assommeur de démocrates qu'était Barbey d'Aurevilly : de magnifiquès coups de bâton sur le nez des Claretie, des Pailleron, des Dumas fils, des Sardou et autres menus fauteurs de pièces qui sont nos grandes gloires théâtrales. – Barbey d'Aurevilly voyait clair, et bien de ses paradoxes d'alors sont les vérités courantes, les idées quotidiennement émises en littérature aujourd'hui. – Il faut lire ses feuilletons sur cette imbécillité de Garibaldi, sur Nana et le naturalisme, sur le naufrage de Lucrèce Borgia, le feuilleton sur l'histrionisme et la décrépitude de l'art dramatique. – En parcourant ce recueil, deux faits, d'ailleurs, incontestablement se dégagent: – on rencontrait encore des pièces à discuter, des pièces méritant vingt lignes de critique consciencieuse; on avait ensuite le respect de soi-même quand on tartinait un compte-rendu. – Il y a de quoi faire réfléchir, on écrivait en français jusqu'à des articles de journaux! ...

C. Mki

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 La Conquête du Pain, par Pierre Kropotkine (Tresse et Stock). – « Le genre humain, dit Kropotkine au début de son livre, a accumulé des trésors inouïs »; mais un certain nombre de capitalistes ont accaparé ces richesses, et ils exploitent encore les pauvres pour les augmenter, sans eux-mêmes, se donner aucune peine. L' œuvre de la révolution sociale, inévitable, imminente, sera de rendre à la collectivité ce qui est, dû à la collectivité : car nul ne peut se vanter de produire quoi que ce soit sans la mystérieuse et constante collaboration des autres. Le droit que devra faire triompher la révolution ne sera pas le droit au travail, qui amènerait les travailleurs à un nouvel esclavage et créerait une nouvelle sorte de capital, c'est le droit à l'aisance : tout homme en effet a droit, par le fait seul qu'il vit, à un logement salubre, à une nourriture saine et suffisante, à des vêtements chauds, bref à l'aisance nécessaire à la vie. Aussi, la révolution faite, s'imposera l'expropriation : la commune prendra possession des maisons, des denrées, des vêtements, et les citoyens se les distribueront selon leurs besoins. Pour ces distributions, comme pour, après la révolution, assurer la vie et le travail, la libre entente sera nécessaire. C'est le principe de la libre entente qui doit être la base de la société nouvelle. Des associations libres se forment pour produire ce qui est nécessaire à la vie, et même ce qui en fait le luxe et la joie, car « l'homme n'est pas un être qui puisse vivre exclusivement pour manger, boire et se procurer un gîte ». Mais, tous prenant part au travail matériel, la quantité

des heures consacrées à ce travail diminuera beaucoup pour chacun; dès lors, chacun aussi aura du temps pour se livrer aux jouissances de la haute culture scientifique, artistique et littéraire; il n'y aura plus cette odieuse division en deux classes: l'une qui peine sans jouir, l'autres qui jouit sans peiner. D'ailleurs, les conditions du travail matériel, même aujourd'hui où les usines appartiennent à des capitalistes à qui le bien-être de leurs ouvriers importe peu, s'améliorent tous les jours; et, grâce aux progrès industriels, on peut prévoir le temps où ce travail, très rapide, sera devenu un travail agréable. Et, dans les derniers chapitres du livre, Kropotkine s'attache à réfuter les objections diverses qu'on lui pourrait faire, et la doctrine du salariat, telle que l'ont modifiée les collectivistes étatistes, bien différents des communistes anarchistes: seule, l'abolition de l'état et a libre entente peuvent créer une société juste, où à chacun sera donné suivant ses besoins. Le dernier chapitre, où l'auteur étudie les développements possibles de l'agriculture, mieux pratiquée qu'aujourd'hui, démontre combien on est loin encore d'obtenir de la terre tout ce qu'elle peut produire. Et il conclut ainsi: « Pouvant désormais concevoir la solidarité, cette puissance immense qui centuple l'énergie et les forces créatrices de l'homme, – la société nouvelle marchera à la conquête de l'avenir avec toute la vigueur de la jeunesse.
 « Cessant de produire pour des acheteurs inconnus, et cherchant dans son sein même des besoins et des goûts à satisfaire, la société assurera largement la vie et l'aisance à chacun de ses membres en même temps que la satisfaction morale que donne le travail librement choisi et librement accompli, et la joie de pouvoir vivre sans empiéter sur la vie des autres. Inspirés d'une nouvelle audace nourrie par le sentiment de solidarité, tous marcheront ensemble à la conquête des hautes jouissance du savoir et de la création artistique.
 « Une société ainsi inspirée n'aura à craindre ni les dissensions à l'intérieur, ni les ennemis du dehors. Aux coalitions du passé elle opposera son amour pour l'ordre nouveau, l'initiative audacieuse de chacun et de tous, sa force devenue herculéenne par le réveil de son génie.
 « Devant cette force irrésistible, les « rois conjurés » ne pourront rien. Ils n'auront qu'à s'incliner devant elle, s'atteler au char de l'humanité, roulant vers les horizons nouveaux, entr'ouverts par la Révolution sociale. »
 Tel est, dans ses grandes lignes, ce livre, opportun entre tous : car il démontre que, parmi les anarchistes, à côté des compagnons énergiques prêts à détruire, par tous les moyens, la société actuelle, il est des théoriciens réfléchis prêts à édifier la société nouvelle.

A.-F. H.

 L'ironie du Sort, par Sutter-Laumann (Savine).– Sutter-Laumann vient de mourir. Ce dernier roman est triste comme une agonie littéraire. D'une jolie donnée : deux vieillards s'aimant d'amour au fond d'un hospice, le livre est malheureusement plein de petites défaillances de style ; mais l'auteur ne dit-il pas : « Il suffit qu'un roman plaise un peu, distraction d'une heure pour une aimable désœuvrée, car il n'est guère plus que la femme qui lise. » Et à ce seul point de vue modeste, malgré le souvenir des Amoureux de Sainte-Périne, l'écrivain a réalisé son rêve.

***

 Daisy, par Max Waller (Bruxelles, Lacomblez). – Ce petit roman, œuvre d'un esprit resté très jeune, malgré une apparente maturité littéraire, n'est aucunement sans intérêt. Au moins une page sur trois (dans les descriptions et les évocations de rêves); le style en est d'une bonne venue, consolidé par un tas de petites hardiesses qui rendent indulgent pour d'autres étais et ornements trop connus. L'histoire n'est pas bien neuve, mais le caractère du grand peintre Turner parait juste; Daisy est charmante, et les mœurs anglaises, familières à l'auteur, sont rendues avec vérité.

R.G.

 Cas Passionnels, par René Maizeroy (Paul Ollendorff). – Il y a un grand charme pour les honnêtes petites gens qui travaillent, végètent péniblement, jouissent peu, à lire des histoires de « viveurs ». Tout leur en plait, les noms : MM. de Rosarieulles, Bob Harisson, Marchenoir, de Minervoix, d'Andéol; les petits noms: Roger, Urbain, Archibald; l'insouciance de ces beaux mondains qui paient, sans escompte, chaque nouveau cœur d'un billet de cent mille francs de rentes, au moins; l'élégance qu'ils ont ensuite à « se faire sauter le caisson. » Des femmes et des hommes préoccupés seulement d'amour ne doivent pas s'aimer qu'avec science, et on pourrait extraire de Cas Passionnels leur méthode. M. Maizeroy est un de ceux qui possèdent le mieux le langage des amants. Il connaît des termes précieux plus troublants que la chose même. Je ne sais pas s'il a crée le mot « enchaleuré », mais il l'emploie à propos, quand un autre mot exprimerait mal l'état de deux corps « qui veulent en finir ». Non qu'il aille jamais jusqu'au tableau cru : il se contente d'y préparer, d'allumer la page qu'on tourne vite avec le désir que la page qui suit soit en feu. Oui, ça brûle souvent, afin que la lectrice fiévreuse rougisse d'une flamme purifiante, et que le lecteur viril encore ferme étroitement sa robe de chambre. Je me demande si je me fais bien comprendre.
 Est-il besoin de citer quelques lignes prises ça et là, au hasard, détachées de La Bonne Leçon, Crime Passionnels, La Canne, L'Entr'acte? Dans presque tous ses contes, M. Maizeroy recherche passionnément, sans peur en cette gymnastique périlleuse, la difficulté de trouver, pour ses couples qui s'enlacent, des baisers neufs, des cris, des rugissement inentendu. Après, quand ils se sont aimés très fort, ses amants n'ont que le mélancolique regret de ne pas s'être assez aimés. La solitude les épouvante. Jacques Mortagne délaissé « ne peut s'endormir, s'étire, se tourne, se retourne, baille... Le petit jour blême, louche, qui filtre entre les lamelles des persiennes, le surprend, les yeux ouverts, le cœur battant, les lèvres gercées de fièvre, mais tout heureux que cette nuit mauvaise soit enfin passée, tout impatient de s'habiller, de rejoindre sa maîtresse, de la supplier avec des litanies ferventes et humbles, d'accepter tout ce qu'elle lui ordonnera. » Et cette page, parmi tant d'autres, explique que M. Maizeroy réserve toujours, lui viennent-ils de cette revue même, une place d'honneur aux poètes de l'amour.

J.R.

 Regain d'amour, par Olivier du Chastel (Perrin). – Roman gaiment philosophique. Vieilles coquettes punies, jeunes filles faisant la charité récompensées par l'amour du prince Charmant, rien n'y manque ; il y a même une sorcière qui prédit l'avenir aux aimables amoureux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est une certain chat nommé Jobelin, que l'on trouve en début du livre ayant déjà des habitudes d'homme fait, et que l'on retrouve à la fin de l'histoire encore très ingambe, c'est-à-dire bondissant sur un mur à l'âge de trente ans... J'en suis désolé pour la morale de cette œuvre..., hélas, les chats ne vivent pas trente ans!

 Les grands écrivains. Châteaubriand, par M. de Lescure (Hachette). – L'auteur de cette étude était qualifié pour écrire une biographie de Châteaubriand plutôt que pour motiver un jugement littéraire sur le plus grand des romantiques français. De là, en ce volume, deux parties d'inégale valeur : la première, où il s'agit de grouper des documents, est parfaite ; la seconde, où il fallait apprécier l'œuvre, est moins satisfaisante. En somme, très beau travail d'historien et plein d'amusantes et de caractéristiques anecdotes.

R.G.

 Heures de Mélancolie, par Jules Grisez-Droz (Montdidier. Léon Carpentier). – Des vers, mais non – si l'on peut dire – des vers de « professionnel » ; M. Grisez-Droz appartient, déclare M. Charles Bourget dans la préface du livre, « à la race des poètes ouvriers, et il pratique avec Louis Mercier, l'horloger décoré récemment des palmes académiques, avec Verdel, de Bruant d'Avanne – cordonnier fin de siècle – l'honneur de représenter, par son titre d'ouvrier serrurier, la Muse du Travail, de la Paix et de la Liberté ». Les pièces qui composent le volume, écrites au hasard des circonstances, n'ont d'autre lien entre elles que cette « mélancolie » dont le titre nous avertit. Je n'aime pas beaucoup celles par quoi le poète gémit de sa solitude de cœur, et qui seraient tout à fait insupportables sans la très réelle naïveté de la plainte. Je le préfère d'ailleurs, dans des coins de paysages, des souvenirs de la Franche-Comté, son pays, des impressions d'il y a très longtemps et qu'il fixe en des strophes simples et doucement attendries.

A.V.

 Les Chansons d'un Rustre, par Auguste Gaud (Savine). – Quelques douzaines de vers ni mauvais ni bons ; des sonnets parnassiens ; les beautés de la nature et des choses de la campagne suivant la poétique reçue ; parfois une petite larme d'attendrissement ; les champs, les bois, les oiseaux, les insectes, envoi franco, affirme la « prière ».
  Il l'enlaçait plus fort et ses ardents baisers
  Allumaient le désir en ses sens embrasés...
 Ainsi soit-il!

C. Mki

 Songes creux, Mœurs Contemporaines, par Georges Moussoir (Savine). – Quelques fantoches, par trop conventionnels, comme le Vieux Beau, représenté naturellement par un ancien officier, le Mari arrivé par sa femme, la Princesse exotique, la Dévote médisante, etc., s'agitent autour d'une pure jeune fille fort sympathique, et que tourmente la constante antinomie du rêve et de la réalité. L'évolution de cette âme vers le bonheur, au cours d'un mariage qu'elle n'a pas désiré, se retarde en raison de sa délicatesse de sentiment, touchant parfois à une susceptibilité, dirai-je, maladive. Cependant elle s'accomplit, après quelques oscillations et trois cent vingt pages, écrites sans prétention, fort lisibles du reste.

G. D.

 Une d'Elles, par Paul de Garros (Savine). – Il s'agit d'une femme adultère. Le mari, vers la fin du livre, surprend son meilleur ami en conversation criminelle avec Madame :
 « Sans irritation, Pierre (le mari) lui posa la main sur le bras et l'arrêta (la femme) :
 — Restez, lui dit-il, j'ai besoin de vous parler ! »
 C'est encore plus joli que le célèbre : « Relevez-vous, Marquise ! »

***

 In morte di Virginia Valentini Zanardelli da Macerata, Treccento Sonetti di Tito Zanardelli (Bruxelles, J. Morel). – Deuxième série, de trente-trois sonnets (V. Mercure de France, t. IV, p. 365).

A. V.

 RÉÉDITIONS : L'Evangéliste, roman parisien, par Alphonse Daudet, illustrations de Marold et Montégut (Dentu. Collection Guillaume).

MUSIQUE : L'Orgue, par Gabriel Fabre (Lemoine et fils). – Le jeune compositeur vient d'enrichir d'une guirlande récitative la ballade de Charles Cros : l’Orgue. Musique très personnelle où se révèle une forte vertu dramatique. Fabre parachève en ce moment une symphonie de fière venue : la Mer. Notre ami s'achemine vers l'Inde Pure et d'ores et déjà se range au nombre de ceux par qui seront à jamais égorgées les oies de Pesaro. Poètes, nous ne saurions trop chérir ces vaillants qui suivent une voie parallèle à la notre vers le Mieux. Illustrations de Paul Signac, le si curieux impressionniste, illustrations d'un tragique simple et suggestif. L’Orgue fut créé par Pol Plançon, de l'Opéra.

S.-P.-R.


 (1) Aux prochaines livraisons : Chattes et Chats (Raoul Gineste) ; Libri e Teatro (Luigi Capuana) ; Chansons poilantes (Alcanter de Brahm et Saint-Jean) ; L'Amour cynique (Alexandre Boutique) : Brunettes (Jacques Madeleine) ; La Bohème diplomatique (comte Prozor) ; Les Vergers illusoires (André Fontainas) ; Soleil d'Afrique (Jean de Villeurs) ; Portraits d'écrivains (René Doumic) ; L'Esclandre (Nada) ; Nobles et Noblesse (de Nimal) ; Expiation (Guy de Charnacé) ; L'Année fantaisiste (Willy) ; Le Rythme poétique (Robert de Souza) ; La Forêt enchantée (Louis Duchosal) ; La vie sans lutte (Jean Jullien) ; De branche en branche (Achille Grisard) ; L'Angoisse (Eugène Bosdeveix) ; La Paix pour la Vie (E. Saint Lanne et Henri Ner) ; Bruges-la-Morte (Georges Rodenbach) ; Montmartre (J.-Camille Chaigneau) ; La fin des bourgeois (Camille Lemonnier) ; Les Ames noires (Georges Poulet) ; Pélléas et Mélisande (Maurice Maeterlinck) ; Balzac socialiste (Robert Bernier).

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