Merveilles : I. Extase. - II. Apocalypse

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Stuart Merrill, « Merveilles: I. Extase - II. Apocalypse », Mercure de France, t. VI, n° 35, novembre 1892, p. 121-123.



 Un fantôme, qui aimait une belle Dame, se tenait toujours à son chevet, dans l'air stellaire de minuit. Et le fantôme, — avec une douceur qui s'élevait au-dessus des mots de l'amour humain, — qui leurrent ! — se fiançait à son âme.

 Douce et douce est leur note empoisonnée,

 La note des petits serpents à gosier d'argent.

 Ils nichent et reposent dans les crânes moussus,

 Toujours chantant : « Meurs, oh ! meurs. »

 Mets bas ta chair ! jeune âme, — et viens avec moi dans la quiète tombe, notre séduisant, et doux, et sombre lit. Sous le chaud linceul de plomb, et sous notre couverture de neiges, nous bercera la Terre, ainsi qu'elle tourne !

 Chère et chère est leur note empoisonnée,

 La note des petits serpents à gosier d'argent.

 Ils nichent et reposent dans les crânes moussus.

 Toujours chantant : « Meurs, oh ! meurs. »


 Et Beddoes, en toutes ses poésies, a chanté la gloire de la Mort : le bonheur conquis sûrement par cette échappatoire, ou l'éternelle angoisse pour les méchants, — mais sans jamais rien emprunter à la superstition religieuse. C'est pour lui une loi plus forte que toute volonté, où l'intervention divine (dont il ne parle nulle part d'ailleurs !) est absolument étrangère.
 Voici dépeint l'« état de souffrance » en cette poésie : The Old Ghost :

Le Vieux Spectre.

 Sur la rive,vers un cimetière d'église, marche à grands pas un vieux spectre. Sur lui, — pâle, blafard et las, — les eaux coulent depuis mille ans, ou plus. Et jamais elles n'avaient vu d'Esprit semblable à lui. Solitaire et lugubre, — il doit être le fantôme d'un corps réduit en poussière dans la mer.
 Sur les ondes, s'est arrêté le vieux spectre. Et, moqueurs, chantent les vents, — car le spectre sans corps devra pleurer sur la vierge qui, si jeune, reposa parmi les chardons et les champignons, tant remugles ! Il demande une larme aux vagues, mais elles retirent au loin leur gloire lunaire. Et le requin contemple avec un « ricanement » l'affliction de son désir et de son agonie !.. (1).

 Il évoque autre part tout un paysage d'outre-tombe, et parmi les morts inquiets passent deux amants, dont l'un est entraîné dans la ronde macabre, — The Ghosts' Moonshine :

Le Clair-de-Lune des Spectres.
I

 Et la Mort chante: « Dors! tu m'emprunteras le sommeil demain! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. La cloche frappe un coup.

II


 Une heure nouvelle, un autre rêve; il gémit:
 « Debout ! debout! Lève-toi avant que le dernier rayon de lune ait pâli Sa vie rosée! »
 Une lumière cachée, un pas voilé, une main qu'arme une dague, près du lit de Celle qui dort et rêve de toi.
 « Tu ne t'éveilles pas : que le meurtre soit ! »
 En vain, le fidèle rêve, prie ; et, tristement, il se consume en soupirs.
 Et le Sommeil chante : « Dors, il sera temps de connaître ta douleur demain ! »
 Et la Mort chante : « Dors, tu m'emprunteras le sommeil demain ! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. Bientôt le soleil va luire.

III


 Avec l'heure nouvelle, un autre rêve : sur une poitrine couleur de la neige, une rouge blessure ; une main rude qui étouffe le dernier cri ; pressé sur des lèvres rosées, un baiser de mort ; sur les draps, du sang; du sang sur le plancher...
 Le meurtrier qui s'enfuit par la porte.... Avec une tristesse lassée, elle dit, — la Voix :
 « Maintenant tu peux dormir, en vérité, — Elle dort!»
 Alors s'enfuit le rêve dédaigné, la première lueur du jour, sanglante, venue.
 Et le sommeil chante : « Dors, il sera temps de connaître ta douleur demain ! »
 Et la Mort chante : « Dors, tu m'emprunteras le sommeil demain! »
 Dors, amant, dors, le rêve troublant s'est enfui. Le meurtre est consommé !


 Moins farouche est Love in Idleness, ballade de tournure gothique, qui rappelle les lieder de Walter von der Vogelweide, mais n'a pas leur délicieuse et franche naïveté. Au contraire, la poésie de Beddoes est très subtile, c'est une jonglerie de finesse pour arriver au dernier vers qui exprime pleinement l'illogique amour:

Frivole Amour.
I


 « Serai-je votre premier amant, Madame, serai-je le premier?
 « Oh ! je tomberais devant vous, sur mon genou de velours. .. Et profondément inclinerais-je ma tête rose ; et contre toi je la presserais ; et je jurerais qu'il n'est rien dont mon cœur ait soif, rien de plus qu'un baiser caressant, et rose, en la fente douce de tes lèvres! »


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